‘Au précipice de la mort’ : un poème de Gaza par Haya Abu Nasser

Par Nancy Kricorian, le 8 mars 2024

Photo prise par Haya Abu Nasser à Gaza, 2024.

Haya Abu Nasser et moi nous sommes rencontrés via We Are Not Numbers, un programme de formation littéraire et de mentorat en langue anglaise fondé à Gaza en 2015. Haya a été déplacée à l’intérieur de la bande de Gaza à quatre reprises depuis octobre 2023, et se connecte au monde extérieur par le biais d’un accès au réseau téléphonique intermittent, souvent réduit au silence par les missiles israéliens.

J’enseigne l’écriture créative depuis plus de trente-cinq ans et Haya est l’une des poètes les plus talentueuses que j’ai connues. Elle écrit des poèmes magnifiques et dévastateurs, alors qu’elle vit sous une tente et qu’elle subit de plein fouet les pertes considérables causées à Gaza par la violence génocidaire d’Israël. Comme je l’ai dit à Haya, son talent est un diamant brut et, à travers ses écrits, elle défend son peuple.

Voici son poème :

Au précipice de la mort
par Haya Abu Nasser

Notre vie n’est-elle qu’une pièce de théâtre mélancolique,
sur une scène de sang,
avec un public aux yeux somnolents ?
En arrière-plan,
le blues pourchasse les oreilles.
Des pas sprintent d’avant en arrière,
comme un archet sur les cordes d’un violon.

Des foules lugubres résonnent de gémissements :
vers où devrions-nous fuir
pour échapper aux drones implacables ?
Les gens s’échappent comme des ombres ;
sur leur dos, le rocher de Sisyphe.
Ils escaladent la falaise de la mort.
Leurs doigts sont étirés,
afin d’atteindre les branches qui poussent
contre l’abîme sombre.

La mort tend une main de rédemption,
avec une forte pression.
Quand je retire ma main,
il saisit ma tête et me regarde dans les yeux,
m’incitant à suivre son chemin.

Au précipice de la mort,
je me vois suspendue à un nœud coulant,
se balançant gracieusement au gré du vent.
Je suis aussi libre qu’une luciole qui brille dans une grotte,
un sourire sur mon visage d’azur.
Mes mains sont libérées,
comme un vieux chêne,
dansant un tango avec la brise.

Mon âme est un vaisseau migratoire,
où la mort attend sur la berge,
et réclame d’autres visiteurs.

Sur l’autre rive du précipice,
la Mort se tient seule.
Elle est vêtue d’un costume blanc,
arrangeant un bouquet avec un soin méticuleux,
pour accueillir sa nouvelle épouse.

Gaza, février 2024

Haya Abu Nasser est une militante des droits de l’homme et une écrivaine dont la famille est originaire de Deir-Sneid. Elle a obtenu une licence en littérature anglaise et en sciences humanitaires et a travaillé pour plusieurs organisations non gouvernementales en Palestine. Son travail a été publié ou va l’être dans AGNI, Scoundrel Time, Evergreen Review, The Normal School, The Rumpus et Guernica. Après avoir été déplacée à l’intérieur de Gaza à quatre reprises entre octobre 2023 et février 2024, elle a réussi à franchir la frontière de Rafah pour entrer en Égypte au début du mois de mars et se rendra en Malaisie pour étudier en vue de l’obtention d’un diplôme d’études supérieures en relations internationales.

Nancy Kricorian est l’autrice des romans ‘Zabelle’, ‘Dreams of Bread and Fire’ et ‘All the Light There Was’. Elle a enseigné à Barnard, Columbia, Rutgers, Yale et à l’université de New York, ainsi qu’à l’université de Birzeit dans le cadre de l’atelier d’écriture sur la Palestine. Son nouveau roman sur les Arméniens de Beyrouth pendant la guerre civile libanaise sera publié par Red Hen Press en 2025.

Source : Mizna

Traduction ED pour l’Agence Média Palestine

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