Les arguments juridiques en faveur de l’imposition d’embargos sur Israël

Les États ont la responsabilité d’agir lorsque la paix internationale est menacée. Les actes génocidaires d’Israël la menacent clairement.

Par Shahd Hammouri, le 3 avril 2024

Khan Younis, Gaza. Al Jazeera

Cela fait presque six mois qu’Israël a lancé le plus récent de ses assauts sur Gaza, une attaque qui a désormais atteint des proportions génocidaires. L’armée israélienne a tué plus de 33 000 Palestinien-ne-s, blessé plus de 75 000 personnes et détruit des bâtiments et des infrastructures civiles dans toute la bande de Gaza.

Israël viole actuellement les mesures provisoires demandant la protection des droits du peuple palestinien dictées fin janvier par la Cour internationale de Justice (CIJ), comme il viole la récente résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu.

Les atrocités commises par Israël à Gaza font partie intégrante d’un colonialisme de peuplement qui porte atteinte aux principes juridiques internationaux les plus fondamentaux et constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales. Dans un tel contexte, toute condamnation est vide de sens si elle n’est pas suivie d’action. En vertu du droit international, lorsque la paix internationale est menacée et qu’un génocide est commis, les États et les entreprises ont le devoir d’agir. Parmi les mesures auxquelles ils peuvent recourir figurent les embargos, un moyen de pression économique pour mettre fin aux violations du droit international.

Dans le cas d’Israël, de telles mesures sont nécessaires pour forcer le pays à mettre fin à ses violations et pour protéger le peuple palestinien contre de nouvelles atrocités.

Une menace pour la paix et la sécurité internationales

Lorsqu’on examine les arguments juridiques en faveur d’embargos contre Israël, il est important de comprendre dans quels contextes de telles actions sont applicables. En vertu du droit international, les États membres sont tenus d’agir lorsqu’il existe une menace à la paix et à la sécurité internationales – c’est-à-dire lorsque des violations en question franchissent la ligne rouge telle que définie par la Charte des Nations Unies.

Depuis la création d’Israël en 1948, qui a entraîné la dépossession et le nettoyage ethnique du peuple palestinien autochtone, les conflits armés n’ont jamais cessé. Le projet colonial d’Israël a donné lieu à des griefs constants de la part des Palestinien-ne-s et d’autres populations de la région, provoquant des tensions géopolitiques et des hostilités.

Depuis le début de la dernière attaque israélienne contre Gaza en octobre, les craintes d’un débordement régional ont été constantes. Plus récemment, le risque de prolifération de la guerre a été accru par l’attaque effrontée d’Israël contre le consulat iranien à Damas – une grave violation du droit international.

Il est désormais plus clair que jamais que la prolongation des illégalités commises par Israël constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales. Cette position a été validée par l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a souligné à plusieurs reprises que la poursuite du conflit israélo-palestinien constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales, notamment dans ses résolutions 67/23 de 2012 et 70/17 de 2015.

Dans sa décision de 2004 à propos du « mur de séparation » israélien, la CIJ a également déclaré que les violations du droit international par Israël constituaient une menace à la paix et à la sécurité internationales.

Plus généralement, le crime d’apartheid constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales au sens de la Convention pour la prévention de l’apartheid (PDF). Le génocidel’agression utilisés pour réprimer la revendication d’un peuple à l’autodétermination, et la colonisation elle-même, sont également considérés comme des menaces à la paix et à la sécurité internationales. Israël a été accusé à plusieurs reprises de toutes ces violations.

La responsabilité juridique d’agir

Lorsqu’ils sont confrontés à une menace contre la paix et la sécurité internationales, les États ont le devoir, pour protéger la population touchée, de réagir par tous les moyens disponibles, y compris les embargos économiques contre les industries qui facilitent l’économie de guerre de l’État dominant.

Comme l’a clairement indiqué la CIJ dans sa décision sur l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (PDF), les États ont le devoir « d’employer tous les moyens raisonnables à leur disposition de manière à prévenir autant que possible le génocide ».

Les mesures provisoires récemment émises par la CIJ dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël font office d’avertissement juridique pour les États et pour d’autres acteurs : le risque de génocide est là et vous êtes placés devant vos devoirs.

Au devoir de prévenir le génocide s’ajoute le devoir de ne pas se rendre complice du génocide, notamment en ne vendant pas d’armes. Cette obligation est encore renforcée par le Traité sur le commerce des armes, qui oblige les exportateurs d’armes à ne pas transférer d’armes qui pourraient être utilisées pour violer le droit humanitaire international.

Comme l’a récemment constaté (PDF) le rapporteur de l’ONU sur les territoires palestiniens occupés, le génocide israélien fait partie intégrante d’une politique coloniale plus vaste de déni du droit palestinien à l’autodétermination. Dans le cas d’un tel refus, les commentaires du projet d’articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité de l’État soulignent que « la non-reconnaissance collective [de la situation créée par la violation grave du droit] semble être la condition préalable à toute réponse communautaire concertée contre de telles violations et marque la réponse minimale nécessaire des États aux violations graves ».

La non-reconnaissance, évoquée par la CDI, peut prendre la forme de tout moyen légal, y compris des embargos économiques, à condition qu’ils respectent(PDF) les droits humains de la population civile locale. Selon l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1948, de telles sanctions ne constitueraient pas une violation du droit commercial international car elles sont nécessaires pour protéger la vie humaine, la moralité publique et les intérêts de sécurité.

De plus, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptées à l’époque de la décolonisation réitèrent clairement  le devoir des États membres d’agir pour mettre fin à la colonisation et à l’apartheid. Notamment dans la résolution 3236 de 1974, où l’Assemblée générale a appelé « à tous les États et organisations internationales à apporter leur soutien au peuple palestinien dans sa lutte pour restaurer ses droits, conformément à la Charte ». Un tel soutien a été étendu au peuple sud-africain sous la forme d’embargos contre le gouvernement de l’apartheid.

En ce qui concerne la responsabilité des entreprises, selon les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, les entreprises ont le devoir de ne pas profiter ou contribuer aux violations du droit international des droits de l’homme et du droit humanitaire. Ce devoir a été réitéré à propos des colonies israéliennes dans les documents se référant à la base de données de l’ONU sur les entreprises impliquées dans les colonies israéliennes.

Les audiences publiques des Nations Unies sur les sociétés transnationales et les procès de Nuremberg, entre autres, démontrent la possibilité de graves répercussions pour les entreprises qui profitent ou contribuent aux menaces contre la paix et la sécurité internationales.

Sanctionner Israël

L’histoire a montré à maintes reprises que les États coloniaux ne cessent de soumettre les populations colonisées que lorsque leur domination ne s’avère plus économiquement et politiquement viable. Comme l’a souligné le politologue algérien, Brahim Rouabah, les Français n’ont pas quitté l’Algérie par bienveillance : ils l’ont fait parce que leur projet de colonisation devenait trop coûteux. Idem plus récemment pour l’Afrique du Sud, où le régime de l’apartheid est tombé après que les sanctions internationales ont menacé son économie.

La capacité d’Israël à poursuivre sa guerre contre Gaza dépend des importations d’armes et de munitions étrangères, dont la production implique des chaînes d’approvisionnement complexes.

Les matières premières peuvent provenir d’un État, les armes être produites dans un autre, pour ensuite être exportées par un troisième et transportées par un quatrième.

Des pays aussi divers que l’Inde, le Canada, le Japon, la Belgique, l’Allemagne, Chypre et d’autres sont impliqués dans ce processus. Les pièces de rechange dont Israël a besoin pour ses avions de combat F-16 et F-35 de fabrication américaine proviennent, par exemple, des Pays-Bas, de l’Australie et du Royaume-Uni.

Chacun de ces États a la capacité, à lui seul, d’influencer l’État israélien en imposant un embargo sur les armes et les matériaux à double emploi.

De même, la poursuite du système global de domination d’Israël adossée aux graves illégalités de l’apartheidde l’annexion « de facto »de la colonisation et du génocide repose sur sa capacité à maintenir une position saine sur le marché mondial.

Si Israël a connu une telle croissance dans les secteurs du pétrole, du gazde l’énergie verte et de la technologie, ainsi que dans l’agriculture, c’est en grande partie grâce au maintien de ses graves illégalités et à sa dépendance sur le commerce extérieur. Supprimer un élément de la chaîne d’approvisionnement d’une quelconque industrie majeure pourrait conduire à un effet domino susceptible de déstabiliser ou d’affaiblir l’économie de guerre israélienne.

Les embargos devraient commencer par les industries qui facilitent l’effort de guerre, comme les industries de l’armement, du pétrole et du gaz. C’est la leçon tirée de la lutte juridique internationale contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud.

Une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU à cette fin encouragerait davantage les États à s’acquitter de leurs propres obligations juridiques internationales. Les litiges stratégiques locaux, l’activisme politique et actionnarial, et le lobbying parlementaire devraient se concentrer sur l’urgence de rappeler à leurs obligations les Etats et les entreprises.

Les roues de ce processus tournent déjà. Fin février, des experts de l’ONU ont affirmé que les exportations d’armes vers Israël devaient cesser immédiatement. Cet appel a été repris par la représentante de la Palestine, Nada Tarboush, lors de la réunion du Groupe de travail sur le Traité sur le commerce des armes à Genève.

Certains pays ont commencé à agir. La Colombie a suspendu tout commerce d’armes avec Israël, le Royaume-Uni a arrêté la maintenance des avions de combat israéliens F-35 sur son sol, le Parlement canadien a voté le gel des nouvelles licences de vente d’armes à Israël, et le gouvernement régional wallon de Belgique a bloqué les licences d’exportation pour les munitions à Israël. Le gouvernement norvégien a déconseillé le commerce avec les colonies israéliennes.

Les entreprises ont également répondu à des appels et à des procédures judiciaires internationales, comme le procès de la CIJ contre Israël. Itochu Corporation, l’un des plus grands conglomérats commerciaux japonais, a décidé de rompre ses liens avec la société d’armement israélienne, Elbit.

Une coalition palestinienne appelant à un embargo sur le pétrole et le gaz a été récemment lancée, suite à la communication de lettres cesser-et-abstenir aux sociétés pétrolières et gazières qui cherchent à tirer profit du pillage israélien des ressources maritimes palestiniennes.

Si nous voulons croire en un avenir caractérisé par des droits égaux, l’autodétermination et des réparations pour le peuple palestinien, conformément aux principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, ces efforts doivent être poursuivis et amplifiés. Les résultats de ces efforts ne seront peut-être pas visibles dans un avenir proche, mais comme l’ont montré les cas de l’Afrique du Sud et de l’Algérie, si on veut, on peut– même dans les heures les plus sombres.

Dr Shahd Hammouri est maître de conférences en droit international à l’Université du Kent en Angleterre et consultante juridique internationale. Ses recherches portent sur les économies de guerre et la théorie critique. Elle est l’auteure du livre à paraître « Corporate War Profiteering and International Law ».

Source : Al Jazeera

Traduction BM pour l’Agence Média Palestine

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