Un rapport d’experts indépendants explique comment Israël a systématiquement violé le droit américain et international à Gaza. Il conclut qu’Israël a lancé des attaques aveugles et disproportionnées contre des zones civiles en raison de « règles extrêmement souples ».
Par Steve France, le 29 avril 2024
Quelques jours seulement après que l’administration Biden a fourni à l’armée israélienne des milliards de dollars supplémentaires d’aide létale, sans aucun effort apparent pour en limiter l’utilisation sur les populations et les structures non militaires, les militants de la solidarité palestinienne ont dû se confronter à de l’artillerie lourde, pour avoir contesté le mépris génocidaire d’Israël pour les lois et les normes internationales et américaines qui protègent les civils dans les situations de guerre.
Dans un rapport sobre mais cinglant de 76 pages, rendu public le 24 avril, le groupe de travail indépendant sur l’application du mémorandum de sécurité nationale 20 (NSM-20) détaille « de multiples incidents crédibles constituant des violations du droit humanitaire international, des meilleures pratiques militaires et des restrictions [inappropriées] de l’aide humanitaire ».
Le groupe de travail bénévole, composé d’éminents experts – dont deux hauts fonctionnaires du Ministère des Affaires Étrangères récemment partis, la juriste Noura Erekat et un ancien « contrôleur d’attaques interarmées des opérations spéciales dans l’armée de l’air américaine », Wes Bryant – a été rapidement constitué après la signature du NSM-20 par le président Biden, le 8 février 2024. Ce mémorandum chargeait les Ministères des Affaires Étrangères et de la Défense de présenter au Congrès, avant le 8 mai, un rapport sur le respect par Israël (et, nominalement, par d’autres alliés des États-Unis) du droit international humanitaire et des meilleures pratiques militaires, ainsi que sur la question de savoir s’il a entravé l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza.
La co-présidente Noura Erekat a déclaré lors d’un briefing que le rapport du groupe de travail avait deux objectifs principaux : premièrement, « informer » les fonctionnaires de l’État et de la Défense à l’aide d’une sélection d’incidents bien documentés où l’aide (envoyée à Israël) à été utilisée à des fins détournées, et deuxièmement, faire pression sur les politiques de la Maison Blanche pour qu’elles agissent afin de réduire ces abus. Cette pression dépendra de la capacité du rapport à attirer l’attention des médias, des experts concernés et des activistes sur des cas concrets et à expliquer clairement le cadre juridique et les normes qui sont censés s’appliquer.
Le groupe d’experts a déclaré que :
« L’analyse globale des rapports crédibles impliquant des armes fournies par les États-Unis aux forces israéliennes, indique un contexte de mépris systématique des principes fondamentaux du droit international, y compris des attaques récurrentes lancées malgré des dommages prévisiblement disproportionnés aux civils et aux biens civils, des attaques sur de vastes zones sans avertissement préalable dans certains des quartiers résidentiels les plus densément peuplés au monde, des attaques directes contre des civils… et des attaques contre des biens civils, y compris ceux qui sont indispensables à la survie de la population civile ».
Les experts ont également fait état de ce qui suit :
« Les sources de renseignement israéliennes citées par des médias crédibles indiquent que ces schémas d’attaques illégales reflètent la dépendance à l’égard d’une fourniture inflexible et inconditionnelle d’armes américaines, de règles déontologiques assouplies, de l’application de punitions collectives et de l’utilisation de technologies d’intelligence artificielle pour générer des milliers de cibles (y compris la police civile et le personnel de la défense civile), à une vitesse maximale et avec une surveillance humaine minimale. »
Les conclusions sont illustrées par 17 « incidents » spécifiques et 18 pages d’incidents supplémentaires. Cet examen des incidents est censé être « étayé par des rapports crédibles des médias et de la société civile, ainsi que par des déclarations de responsables du gouvernement israélien et d’officiers en uniforme des FDI ». Mais les incidents identifiés ne sont que « les plus facilement identifiables parmi un ensemble clair de violations du droit international, de manquements à l’application des meilleures pratiques en matière d’atténuation des dommages causés aux civils et de restrictions à l’assistance humanitaire » par Israël et les FDI, qui utilisent souvent des armes fournies par les États-Unis.
Tout aussi important pour les non-spécialistes, le rapport décrit précisément comment les systèmes juridiques américain et international sont censés protéger les civils contre les dommages, et comment ils sont bafoués. Ainsi, les experts soulignent trois « règles fondamentales [qui] régissent les décisions de ciblage dans les conflits armés » :
- Faire la distinction entre les civils et les combattants, et entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires, en présumant que les personnes ou les biens sont protégés contre les attaques, sauf si les informations disponibles à ce moment-là indiquent qu’il s’agit d’objectifs militaires.
- Prendre toutes les « précautions » possibles dans la planification et la conduite des attaques pour éviter ou au moins réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil.
- Respecter la « proportionnalité », c’est-à-dire ne pas mener d’attaques excessives par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. Plus les dommages prévisibles causés aux civils et aux biens de caractère civil sont importants, plus l’avantage militaire prévisible nécessaire pour justifier une attaque particulière est important. Le droit international humanitaire (DIH) accorde une protection spéciale aux hôpitaux, aux cliniques et aux ambulances, ainsi qu’aux opérations de secours humanitaire et aux locaux des Nations unies.
Le rapport présente les bases des « pratiques d’atténuation des dommages aux civils », y compris celles du ministère de la défense des États-Unis. Un concept clé est celui des « entités non frappées » (NSE), qui, selon le ministère de la défense, « peuvent inclure, sans s’y limiter, des sites médicaux, éducatifs, diplomatiques, culturels, religieux et historiques, ou d’autres objets qui, par leur nature, leur emplacement, leur but ou leur utilisation, ne contribuent pas efficacement à la capacité de l’ennemi à combattre ou à soutenir la guerre ». Le groupe de travail accuse Israël d’avoir pris pour cible « de manière routinière et répétée » six catégories fondamentales de SNG, ainsi qu’un large éventail d’entités légèrement moins protégées.
Une proportionnalité « vidée de son sens«
Une excuse souvent avancée par les Israéliens pour justifier la mort et les blessures de civils est qu’ils sont utilisés par le Hamas comme « boucliers humains ». Le rapport note que « profiter de la présence de civils ou d’autres personnes protégées dans l’intention de protéger un objectif militaire d’une attaque constitue un crime de guerre ». Cependant, les règles militaires américaines « affirment qu’un attaquant partage avec ses ennemis la responsabilité des dommages causés aux civils s’il ne prend pas les précautions nécessaires » pour éviter de tuer les boucliers.
La NSM-20 elle-même précise que ses alliés doivent « faciliter et ne pas arbitrairement refuser, restreindre ou entraver de quelque manière que ce soit, le transport ou l’acheminement de l’aide humanitaire [américaine] et de l’aide humanitaire internationale […] soutenue par le gouvernement américain ».
Décrivant le « contexte » du « mépris systématique d’Israël pour le droit international humanitaire », le rapport cite « des attaques récurrentes lancées en dépit des dommages disproportionnés prévisibles causés aux civils et aux biens de caractère civil, des attaques de grande envergure sans avertissement préalable dans certains des quartiers résidentiels les plus densément peuplés du monde, des attaques directes contre des civils ou des personnes autrement protégées… et des attaques contre des biens de caractère civil, y compris ceux qui sont indispensables à la survie de la population civile ». Un ancien officier de haut rang des FDI est cité comme condamnant la « conduite imprudente » d’Israël qui, selon lui, « reflète l’hypothèse absolue que les États-Unis continueront à l’armer et à le financer ».
Des « règles d’engagement extrêmement souples », incompatibles avec le droit international humanitaire, expliquent également une grande partie des dommages causés aux civils. Ainsi, le chef d’état-major de l’armée de l’air israélienne, Omar Tishler, a déclaré que des quartiers ont été attaqués « à grande échelle et non de manière chirurgicale ».
Ces attaques sont facilitées par l’extension du concept d' »avantage militaire » dans l’évaluation de la proportionnalité, qui consiste à évaluer les dommages causés aux civils par rapport aux avantages d' »une opération dans son ensemble », plutôt que par rapport à chaque attaque individuelle. Cette évolution « vide de son sens la règle de proportionnalité », indique le rapport, car il est impossible de comparer les préjudices d’une seule attaque spécifique avec tous les avantages militaires prétendument obtenus ou recherchés par l’ensemble de l’opération de Gaza, qui a duré plus de six mois.
De même, M. Bryant, ancien contrôleur de drones de l’armée de l’air américaine, a noté qu’Israël brouille l’obligation de prendre des précautions pour protéger les civils « en employant des précautions qu’il sait inefficaces », telles que l’envoi de SMS aux populations dont il sait que les téléphones ne fonctionnent pas.
L’utilisation qu’Israël fait du terme « terroriste » est également « décontractée ». Ainsi, un officier de réserve a déclaré à Ha’aretz : « En pratique, un terroriste est toute personne que les FDI ont tuée dans les zones où leurs forces opèrent ». Un officier des services de renseignement israéliens a expliqué que l’imposition extensive et illimitée de « zones de mort » est une autre façon de déguiser un génocide. Avec une « zone de mort » d’une durée d’un mois ou deux, « on pourrait s’en tenir à un ordre selon lequel toute personne qui s’approche doit être abattue… Mais nous sommes là depuis six mois, et les gens doivent commencer à sortir ; ils essaient de survivre, et cela conduit à des incidents très graves ».
Enfin, Israël affirme qu’il peut bloquer l’aide humanitaire s’il a de « sérieuses raisons de craindre » que les envois de secours « soient détournés de leur destination civile ou fournissent un avantage certain aux efforts militaires de l’ennemi » – une position qui, selon le groupe de travail, repose sur une « règle défectueuse » datant de 1949, modifiée en 1977 et remplacée par une règle de droit international coutumier. Les résolutions récentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations Unies confirment qu’Israël « doit permettre et faciliter une aide humanitaire rapide et sans entrave et ne peut refuser une telle aide par crainte qu’une petite partie de l’aide ne soit saisie par des groupes armés ».
En conclusion, le rapport avertit que « les conclusions du groupe de travail soulèvent de graves préoccupations quant au respect par l’administration du droit américain et international, en particulier en ce qui concerne l’assistance à la sécurité et les transferts d’armes ». Il identifie ensuite les lois en question et cite « les obligations découlant du droit international coutumier de veiller au respect du droit international humanitaire et de coopérer pour mettre fin, par des moyens légaux, aux violations graves des normes impératives du droit international général ».
Steve France est un journaliste et un avocat à la retraite de la région de Washington. Militant pour les droits des Palestiniens, il est affilié au réseau Palestine-Israël de l’Episcopal Peace Fellowship et à d’autres groupes chrétiens de solidarité avec les Palestiniens.
Source : Mondoweiss
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine