Rapport depuis Rafah : L’UNICEF dénonce la « guerre contre les enfants » que mène Israël, alors que la famine s’aggrave et que le nombre de décès augmente à Gaza

L’armée israélienne a annoncé dimanche une « pause tactique » quotidienne dans ses attaques sur Rafah afin de permettre à l’aide humanitaire d’entrer dans la bande de Gaza, après avoir systématiquement empêché son accès aux Palestiniennes et Palestiniens de Gaza depuis le 7 octobre. Bien qu’un cessez-le-feu total soit toujours vital, « toute pause dans les bombardements est une bonne nouvelle pour les enfants », a déclaré James Elder, porte-parole de l’UNICEF, qui s’est entretenu avec Democracy Now ! depuis Rafah. « L’épuisement physique et psychologique auquel ils sont confrontés est presque impossible à décrire », dit-il, qualifiant l’offensive israélienne de « guerre contre les enfants ».

Par Amy Goodman, le 17 juin 2024

Une jeune fille déplacée lave des vêtements dans un camp de réfugiés à Khan Younis. Photo de l’OMS


Le texte qui suit est d’une transcription faite dans l’urgence, qui peut ne pas être dans sa forme finale.

AMY GOODMAN : Nous commençons l’émission d’aujourd’hui à Gaza, d’où les Nations Unies et d’autres organisations ne cessent d’alerter sur la situation alors que l’assaut israélien entre dans son neuvième mois. Le chef de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, alertait la semaine dernière : « Une proportion significative de la population de Gaza est maintenant très gravement confrontée à la faim et à des conditions proches de la famine. » L’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) affirme que plus de 50 000 enfants ont besoin d’un traitement médical immédiat pour cause de malnutrition aiguë. Les travailleurs et travailleuses médicaux s’efforcent de traiter les patient.es malades et souffrant de malnutrition dans un contexte de destruction par Israël des infrastructures sanitaires et de l’approvisionnement en eau de la bande de Gaza.
Dimanche, l’armée israélienne a annoncé une pause tactique quotidienne dans ses attaques sur Rafah afin de permettre à l’aide humanitaire d’entrer dans la bande de Gaza, mais le chef de l’UNRWA affirme qu’au niveau opérationnel, rien n’a changé dans le sud de Gaza. Depuis huit mois, Israël empêche systématiquement l’acheminement de l’aide à la population. Les forces israéliennes ont également pris pour cible les Palestiniens et Palestiniennes à la recherche de cette aide rare et ont tué plus de travailleurs humanitaires que lors de n’importe quelle guerre depuis la création de l’ONU.
Les forces israéliennes ont également tué des Palestinien.nes qui cherchaient à apporter de la nourriture à leurs familles, notamment mercredi dernier, lorsque les troupes ont tiré sur un groupe de pêcheurs à Gaza, tuant deux d’entre eux. Notre invité, James Elder, porte-parole de l’UNICEF, qui nous rejoint depuis Rafah, a été témoin de cette attaque.
Avant d’aborder ce sujet plus vaste, pouvez-vous décrire ce que vous avez vu ? Qu’est-il arrivé à ces pêcheurs, James Elder ?


JAMES ELDER : Amy, nous étions en mission pour apporter des fournitures médicales et nutritionnelles vitales pour l’UNICEF à 10 000 enfants dans le nord. Nous avions suivi toutes les procédures. C’est très compliqué. C’est très spécifique. Nous avons vu beaucoup, beaucoup trop d’aide refusée et restreinte pour des gens qui en ont désespérément besoin et ce de façon croissante. Le trajet entre Deir al-Balah, où nous nous trouvions, et la ville de Gaza, au nord, est d’environ 25 miles. Amy, il nous a fallu 13 heures. Huit heures ont été passées près des postes de contrôle. En fin de compte, il y a eu un malentendu autour de notre camion. Nous avons attendu. Nous avons attendu. Nous avons attendu. Finalement, l’accès nous a été refusé. Nous n’avons pas pu faire parvenir ces fournitures à ces 10 000 enfants.
Pendant que nous attendions, Amy, ironiquement, je parlais à un collègue de l’industrie de la pêche, de cette destruction de l’éducation, des soins de santé, du logement, de l’agriculture. Ce collègue m’a expliqué que son beau-père avait une entreprise de pêche, et il m’a montré des vidéos de son entreprise de pêche et des bateaux lorsqu’ils sont partis en flammes, lorsqu’ils ont été bombardés. Il m’a montré ceci et il m’a expliqué que son beau-père avait eu une attaque à ce moment-là.
J’étais donc absorbé par la vision de ces pêcheurs. Il ne s’agissait que de huit ou dix hommes dans l’eau jusqu’aux genoux, dans l’océan ou dans la mer, avec un seul filet chacun. Je les regardais tous. Je me disais : « Vous êtes probablement un professeur d’université. Vous êtes peut-être ingénieur ». Je les ai observés pendant des heures et des heures, alors que nous attendions notre aide.
Soudain, un char d’assaut est apparu. C’était tout près du grand poste de contrôle militaire israélien. Des coups de feu ont été tirés. Et deux des pêcheurs qui se trouvaient sur la plage se sont retrouvés sur le sable. Heureusement, j’étais avec d’autres collègues de l’Organisation mondiale de la santé, dont un secouriste. Ils ont immédiatement appelé les autorités pour nous demander la permission, à nous qui avons l’expérience des urgences médicales, de nous rendre sur la plage pour voir dans quel état se trouvaient ces deux pêcheurs. Cette demande nous a été refusée. L’accès a été refusé. Une demi-heure plus tard, les autres pêcheurs, qui voulaient absolument voir leurs amis, leurs proches – je ne sais plus – ont fini par recevoir des housses mortuaires. Ils y sont allés. Ils les ont ramenés. Et c’est là que j’ai vu qu’un des pêcheurs avait été abattu d’une balle dans le dos, et que l’autre, qui avait encore un filet de pêche autour de la cheville, avait été abattu d’une balle dans le cou.

AMY GOODMAN : Alors, pourriez-vous replacer cela dans un contexte plus large, James Elder ? Pouvez-vous parler de ce qui se passe en ce moment, de l’ampleur de la catastrophe qu’est Gaza, en ce qui concerne la faim et la famine, sans parler des meurtres de Palestiniens et Palestiniennes ? En ce moment le nombre est de plus de 37 000 tués, bien plus de 15 000 enfants – et ce nombre est probablement beaucoup plus élevé parce que nous ne savons pas combien de personnes sont mortes sous les décombres ?


JAMES ELDER : Eh bien, comme vous le dites, Amy, regardez ce nombre d’enfants. Mon directeur exécutif, je crois, l’a très bien exprimé au Conseil de sécurité il y a plusieurs mois, en disant que le meurtre d’enfants à Gaza et la destruction de Gaza ne peuvent en aucun cas apporter la paix au Moyen-Orient. Nous vivons aujourd’hui une période terrifiante qui semble se normaliser. Il n’y a rien de normal à passer une nouvelle nuit ici, où les bombardements sont incessants, où les drones sont incessants. Vous ne dormez pas, vous voyez ? Évidemment, les enfants sont bombardés aussi, et il y a le tourment psychologique que cela représente. C’est un problème permanent. Juste avant de commencer, j’ai entendu d’autres tirs ici, d’autres bombardements qui sont incessants. Cela fait donc 250 jours, Amy, que les enfants subissent cela. L’épuisement physique et psychologique auquel ils sont confrontés est, oui, presque impossible à saisir, parce qu’en plus, il y a une crise alimentaire comme la bande de Gaza n’en a jamais connue auparavant. C’est pourquoi nous essayons d’apporter de l’aide au nord.
Les problèmes d’accès à l’eau sont tels que nous ne les avons jamais vus ici, alors que, normalement, 50 litres d’eau constituent le strict minimum par personne. Et le strict minimum, c’est pour se nettoyer, boire, se laver. Nous n’avons plus que quelques litres d’eau. Nous sommes en plein été. La chaleur est étouffante. L’autre jour, j’ai regardé le thermomètre d’une tente. Il indiquait 55 degrés Celsius. Je ne sais pas ce que c’est. C’est bien plus que 100 degrés Fahrenheit. Oui, les habitant.es de Gaza sont habitué.es à l’été. Ils et elles sont habitués à passer l’été dans leurs propres maisons, avec une brise transversale, des ventilateurs au plafond. Aujourd’hui, ils et elles sont dans des tentes, côte à côte, en train d’étouffer sur le sable. Le manque d’eau et de nourriture ne se traduit donc pas seulement par des maladies chez les personnes les plus vulnérables, à savoir les enfants. Le risque de déshydratation est également très élevé.
Depuis le ciel, c’est implacable. Il y a quelques heures, avant de vous parler, je me trouvais dans un hôpital, l’Hôpital européen. En un instant, j’ai vu Hala, 4 ans. Elle est aveugle d’un œil depuis que la maison familiale a été frappée. Wahid a perdu un bras et une jambe, car il dormait et s’est réveillé dans les décombres. Et Yasim, Yasim a perdu son bras droit. Je l’ai vu dans la minute qui a suivi. J’ai obtenu des chiffres lorsque j’étais ici en novembre, Amy : un millier d’enfants amputé.es. Je ne connais pas leur nombre aujourd’hui. Nous devrions arrêter ces chiffres. Nous devons nous concentrer sur les histoires, sur l’humain. Mais, bien sûr, l’ampleur – l’ampleur est sans précédent. Et aussi difficile à croire que cela puisse être, cela continue.
Et, bien sûr, les gens demandent : « Est-ce que c’est pire maintenant ? » Bien sûr que c’est pire. C’est pire tous les jours. Cela ne peut qu’empirer. Aujourd’hui, il y aura un bombardement. Aujourd’hui, il y aura davantage de gens sans eau ni nourriture. Demain, ce sera pire. La situation continuera d’empirer jusqu’à ce que celles et ceux qui ont le pouvoir de la plume, ceux qui surveillent ce cessez-le-feu, commencent à comprendre et à se soucier du niveau de souffrance que les enfants et leurs familles endurent ici.

AMY GOODMAN : Vous avez parlé de 55 degrés Celsius lorsque vous avez regardé le thermomètre. C’est en fait 131 degrés Fahrenheit. Nous parlons avec James Elder, porte-parole de l’UNICEF, le Fonds international d’urgence des Nations unies pour les enfants. Il est avec nous depuis Rafah, à Gaza. Vous venez de dire que vous continuez à entendre des explosions à l’extérieur. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est cette pause tactique que l’armée israélienne a annoncée de façon surprenante, un peu à l’improviste, dimanche, et ce qu’elle signifie exactement ? Cela signifie qu’il n’y a plus qu’une route pour l’aide d’urgence à Rafah ?


JAMES ELDER : Oui. Je veux dire, écoutez, toute restriction des bombardements, toute pause dans les bombardements est une bonne nouvelle pour les enfants. La plupart des nuits ici, ce sont des nuits presque sans sommeil, que ce soit à cause des bombardements ou des drones. Les bombardements sont… je pensais savoir, Amy, à quoi ressemblait le bruit des bombardements. Je n’en avais aucune idée. Quand c’est vraiment proche, c’est comme si quelqu’un frappait des casseroles à côté de votre tête. Un drone est une tondeuse à gazon, et il est implacable. Il y a des drones d’attaque et des drones de surveillance. Et il y a plus de tirs maintenant. Donc, toute restriction des bombardements, toute pause, quel que soit le nom qu’on lui donne, est une bonne nouvelle pour les enfants.
Mais nous devons attendre de voir ce que cela signifie réellement. Il ne s’agit que d’une petite partie de l’aide qui passe par une partie de la bande de Gaza. Faciliter l’aide est une bonne chose. Mais à plus grande échelle, la responsabilité d’Israël, en tant que puissance occupante, est de permettre à l’aide d’être distribuée en toute sécurité dans la bande de Gaza. Ce n’est pas le cas. Le chaos est semé, parce qu’il y a un tel niveau de désespoir, parce qu’il y a un tel manque de sécurité. Comme vous l’avez dit à juste titre, Amy, il y a plus de collègues des Nations unies qui ont été tué.es dans cette guerre qu’à n’importe quel autre moment depuis la création des Nations unies. Nous espérons donc que cela se traduira par des opérations d’aide plus fluides, plus rapides et plus sûres. Mais pour que cela se produise vraiment, il faudrait ouvrir davantage de points de passage, beaucoup plus de points de passage. Nous en parlons, le secrétaire général des Nations unies en parle depuis des mois et des mois. C’est un aspect de la question.
Le deuxième aspect, bien sûr, c’est – eh bien, nous revenons au cessez-le-feu. Le cessez-le-feu permettrait d’apporter l’aide dans la bande de Gaza et permettrait aux otages de rentrer chez eux. Le cessez-le-feu ramènera les otages chez elles et eux. Et un cessez-le-feu nous permettrait de commencer à nous attaquer à la crise nutritionnelle. Par exemple, Amy, l’UNICEF traitait 3 000 enfants atteints de la forme la plus dangereuse de malnutrition ici à Rafah, puis nous avons eu l’offensive militaire à Rafah, que nous avions tous supplié d’éviter, mais que nous craignions d’une certaine manière. Cette offensive militaire « limitée », entre guillemets, qui a entraîné le déplacement d’un million de personnes, a également eu pour conséquence de rendre notre centre de stabilisation, qui traitait 3 000 enfants, inopérant, en l’espace d’une minute. Les enfants soignés se retrouvent soudainement… ils ont disparu. Nous devons maintenant essayer de retourner dans ces communautés, dans ces tentes, pour retrouver ces enfants, pour retrouver ces familles, parce que sans ce traitement, ils mourront. Et le point de passage de Rafah, qui était la ligne de vie pour l’aide humanitaire, est fermé depuis plus d’un mois maintenant.
La guerre des mots est donc permanente. Mais il suffit de regarder les faits. Il est démontré que le nombre de camions humanitaires entrés en mai a été inférieur de moitié à celui d’avril. Il est prouvé qu’une fraction des routes est ouverte alors qu’elles devraient l’être. Les voies terrestres sont le moyen le plus efficace et le plus rentable d’acheminer l’aide. Il est prouvé que la jetée ne fonctionne plus. Il est évident que nous sommes en train de nous catapulter, si l’on peut dire, dans une crise nutritionnelle. Et la preuve, c’est qu’alors que nous essayons d’apporter de l’aide et que les enfants cherchent à se mettre en sécurité, les bombardements se poursuivent.

AMY GOODMAN : Vous avez parlé de ce qui se passe à Gaza comme d’une guerre contre les enfants. Au début du mois, l’ONU a ajouté Israël à sa liste de la honte, une liste noire des Etats et des groupes qui violent les droits des enfants dans les conflits armés. Les autres pays figurant sur cette liste sont la Russie, la République démocratique du Congo, la Somalie, la Syrie, la Birmanie, l’Afghanistan et Haïti. L’ONU ajoute également le Hamas et le Jihad islamique à cette liste de la honte. Pouvez-vous expliquer concrètement ce que cela signifie ? Et aussi, comme vous parlez des enfants qui souffrent de la faim – bien sûr, les adultes aussi – quels sont les effets à long terme de cette situation ?


JAMES ELDER : Oui, je pense qu’il y a trois parties. L’UNICEF et les Nations Unies soutiennent absolument ces données et leur solidité. Il s’agit d’un rapport du secrétaire général, et je devrais laisser à son bureau le soin d’en parler davantage. Mais, oui, nous le faisons, et depuis de nombreux mois : nous appelons cela une guerre contre les enfants. Et comme pour tout ce qui se passe ici, nous le faisons sur la base de preuves. Nous ne cherchons pas à faire les gros titres. Nous le faisons parce que dans tous les conflits où l’UNICEF intervient, ou sur toutes les lignes de front, de l’Afghanistan au Yémen en passant par l’Ukraine et la Syrie, nous n’avons jamais vu un pourcentage aussi élevé de civils blessés, mutilés ou tués parmi les enfants qu’ici. Voilà pourquoi. Les faits montrent qu’il s’agit d’une guerre contre les enfants. Et, oui, c’est parce qu’il y a une grande population d’enfants et une population dense – c’est une population dense. C’est aussi parce que nous assistons à des bombardements aveugles et incessants.
Mardi, lorsque j’étais à l’hôpital Al-Aqsa, dans la zone intermédiaire, à combien de familles ai-je parlé ? Je parle à – et encore une fois, parfois, Amy, je vais dans un hôpital, et littéralement je dois parler à la première personne que je vois. Et il y a des milliers de personnes. Il y a des enfants à l’étage qui ont besoin d’attention, malgré les efforts courageux des médecins qui travaillent 24 heures sur 24 et qui, dans le même temps, se demandent comment apporter du bois et de l’eau à leur famille le soir. La première que j’ai vue était un petit garçon, Ali. Ali dormait au troisième étage de la maison familiale lorsqu’un missile a frappé. L’instant d’après, il se retrouvait sous les décombres du rez-de-chaussée. J’ai ensuite appris que la mère d’Ali avait également été victime de ce bombardement, de cette attaque contre la maison familiale. Je l’ai trouvée à l’hôpital. Je voulais lui expliquer que j’avais retrouvé Ali, et j’ai cru, pendant une seconde, que j’avais de bonnes nouvelles. J’ai pensé que, dans cette obscurité, j’avais quelque chose à partager. En fait, elle savait qu’Ali était là, mais elle a aussi expliqué que ses deux autres enfants avaient été tués dans cet attaque. Ce sont… c’est ce qui est en cours, hier soir, ce soir. C’est le caractère indiscriminé de cette guerre qui se poursuit. Elle se poursuit.
En ce qui concerne la crise alimentaire, je suis désolé, vous devrez répéter la dernière partie de votre question.

AMY GOODMAN : Quels sont les effets à long terme de la faim sur les enfants ?


JAMES ELDER : Oui. Malheureusement, l’UNICEF l’a appris parce que nous opérons du nord au sud, du sud à l’est, d’est en ouest, plutôt, dans le monde entier. Ces effets sont nombreux et ils s’aggravent, tout comme les traumatismes. L’état nutritionnel d’un enfant est d’autant plus grave qu’il n’est pas pris en charge. Et chez les enfants les plus jeunes, évidemment, le plus grand risque est la mort. Un enfant souffrant de malnutrition sévère a dix fois plus de chances de mourir d’une maladie courante. Et mon Dieu, il y en a ici des maladies courantes aujourd’hui, à cause de la privation d’assainissement et d’eau. Mais il y a aussi des risques pour le développement mental. Il y a de grands risques pour la croissance physique, la croissance psychologique et le développement mental.
À long terme, l’impact se fait sentir sur la société, sur la communauté. Et cela peut sembler très éloigné, mais ce n’est pas le cas. L’UNICEF s’intéresse toujours à l’ensemble des tranches d’âge des enfants. Et si nous regardons ici, à Gaza, cette population de jeunes enfants, n’importe quel économiste, n’importe quel démographe vous dira qu’il faut bien faire les choses avec une population de jeunes enfants. Et ce n’est pas difficile. Il suffit d’offrir la bonne formation, les bonnes compétences, les bonnes opportunités, et vous obtenez un boom démographique. Les populations vieillissantes vous envient. Si vous échouez, vous vous exposez à tous les risques liés à la sécurité et à tout ce qui va avec. Et c’est là un exemple paradigmatique de ce problème.

AMY GOODMAN : Enfin, James Elder, pour revenir à la question d’un cessez-le-feu, qu’est-ce que cela signifierait exactement ?


JAMES ELDER : Cela signifie tout, Amy. Cela signifie tout. Il y a des moments où je me sens fatigué de parler, tout comme ce que les gens doivent penser. Mais quand vous êtes à Gaza et que vous sentez encore cet espoir parmi les gens… – j’ai rencontré un homme tout à l’heure près de l’eau, il m’a expliqué qu’il avait déménagé huit fois. Huit fois. Et il connaît bien toutes les résolutions du Conseil de sécurité, y compris la dernière résolution. Il m’a dit : « Nous devons continuer à espérer. Mais nous avons l’impression que c’est notre dernier espoir. » Et je comprends cela, la dégradation de l’état psychologique. Les gens s’accrochent. De nombreuses femmes m’ont dit : « Mon mari a été tué. Ma maison a été détruite. J’ai perdu la possibilité de nourrir mes enfants. Et j’ai perdu mon travail. Tout ce qui me reste, c’est l’espoir ». Ils s’accrochent donc à l’espoir. Mais ils sont également conscients que certains d’entre eux ont perdu le compte du nombre de ces résolutions.
Un cessez-le-feu signifierait, au sens le plus simple, que les otages rentreraient chez elles et eux. Que le supplice prendrait fin. Cela signifierait qu’une mère pourrait faire des promesses à son enfant, comme une mère me l’a dit exactement en ces termes : « Je pourrai me coucher le soir avec mon enfant et lui promettre qu’il pourra se réveiller. » Ce n’est pas possible ici. Comme beaucoup de gens me l’ont dit, vivre ou mourir, c’est une question de chance. C’est le cas ici, compte tenu de la nature indiscriminée de la guerre. Donc ceux qui ont le pouvoir, quels qu’ils soient, ont créé cette guerre contre les enfants. Ceux qui ont le pouvoir sur un cessez-le-feu doivent – comme je l’ai dit, ils doivent comprendre la souffrance ici. Et comme le disent de nombreux habitants de Gaza, il semble que c’est leur dernier espoir.

Traduction : SD pour l’agence Media Palestine

Source : Democracy Now

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