L’armée israélienne a commis un nouveau massacre contre des Palestiniens déplacés dans des campements de tentes, cette fois dans la région côtière de Mawasi, qu’Israël avait désignée comme « zone de sécurité ».
Par Tareq S. Hajjaj, le 14 juillet 2024
Dans un cratère presque plus grand qu’une cour d’école, un groupe de jeunes hommes creuse dans le sable et sort les corps. « Sa tête est là ! Sa tête est là ! », crie quelqu’un. Un homme sort du trou, portant un enfant. « Qui sait qui est cet enfant ? Qui connaît sa famille ? Où sont ses parents ? », crie-t-il. Derrière lui, des cadavres et des membres coupés sont éparpillés sur le sol. Certains sortent du sable, à moitié enterrés.
Lorsque l’armée israélienne a frappé le camp de déplacés côtier d’al-Mawasi, à l’ouest de Khan Younis, il n’y a pas eu de décombres. La « zone de sécurité » désignée par Israël n’était guère plus qu’une mer de tentes sur la plage, si bien que les gens ont été enterrés dans le sable.
Samedi à 10 heures, alors que les habitants commençaient leur journée, l’armée israélienne a pris la zone pour cible par des frappes aériennes successives, provoquant un massacre qui, selon le ministère de la santé de Gaza, a tué 90 personnes et en a blessé plus de 300 autres à l’heure où nous écrivons ces lignes. La moitié d’entre elles sont des femmes et des enfants, précise le ministère de la santé.
Shaima Farwaneh, 16 ans, se trouve près du site du massacre lorsque celui-ci s’est produit. Elle s’apprête à préparer le petit-déjeuner pour sa famille lorsque les bombes tombent. Des personnes et du sable sont projetés partout, des membres précédemment attachés à des corps volant au-dessus de leurs têtes.
» Une jambe m’a frappée, et j’ai vu des corps démembrés à quelques mètres de là « , a déclaré Shaima à Mondoweiss. « J’ai vu un jeune enfant qui criait. Il avait perdu ses membres inférieurs et rampait sur les mains en criant. Les bombes n’ont pas cessé, et soudain le garçon a disparu. J’ai vu comment il s’est volatilisé devant moi alors que nous courrions et que nous baissions les yeux vers le sol, incapables de faire autre chose que de courir ».
Shaima raconte avoir entendu sept explosions successives avant la fin. « Quelle vie nous menons dans ces tentes, pour voir les corps démembrés de nos frères et sœurs et de nos familles voler au-dessus de nos têtes. »
Lorsque les ambulances et les équipes de la défense civile arrivent près d’un marché très fréquenté par les habitants de la région, leurs véhicules sont également pris pour cible, selon le directeur de la défense civile de Khan Younis, Yamen Abu Suleiman. Deux agents de la défense civile ont été tués au cours de l’attaque.
Abu Suleiman affirme que l’occupation a visé Al-Mawasi avec un important barrage de missiles, causant de nombreuses victimes. » L’occupation a ciblé la zone plus d’une fois pour nous empêcher toute opération de sauvetage « , déclare-t-il à Mondoweiss, dénonçant le silence du Comité international de la Croix-Rouge sur le fait qu’Israël empêche les équipes de sauvetage de faire leur travail.
Israël affirme que les frappes aériennes visaient à assassiner Muhammad al-Deif, le chef de la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam, ainsi que le commandant de la Brigade du district de Khan Younis d’al-Qassam, Rafi Salama. Le bureau des médias du gouvernement de Gaza dément les affirmations israéliennes, soulignant qu’elles ne sont rien d’autre qu’un moyen de détourner l’attention du monde de la réalité du massacre commis par l’armée israélienne dans le cadre du génocide de la population de Gaza.
Selon des sources locales, plus de 80 000 personnes déplacées vivent actuellement dans des tentes dans cette zone.
Aucun État ne fait cela
Fawzia Sheikh Youssef, 82 ans, a été ensevelie sous le sable du bombardement mais a survécu. Elle décrit ce qu’elle a vécu pendant le massacre comme quelque chose qu’elle n’avait jamais vu de toute sa vie. Elle déclare à Mondoweiss qu’elle avait déjà été déplacée lors de la Nakba de 1948 alors qu’elle n’avait que 6 ans, arrivant dans la région de Khan Younis et restant avec sa famille pendant deux ans sous une tente. 76 ans plus tard, elle s’est retrouvée au point de départ, mais cette fois-ci en assistant à des massacres comme elle n’en avait jamais vus, même pendant la Nakba.
« Il n’existe aucun pays au monde qui inflige de tels traitements à des enfants, des femmes et des civils », dit-elle. « Les guerres ne sont pas comme ça. »
Fawzia était en train de prendre son petit-déjeuner lorsque la bombe a traversé son campement, démolissant sa tente et la piégeant en dessous. Elle s’est retrouvée couverte de sable et piégée à l’intérieur, mais n’a pas été grièvement blessée. Elle a commencé à ramper sur le sol et s’est extirpée de sous la tente, pour finalement s’échapper vers un endroit éloigné des éclats d’obus et des missiles, plus proche de la route principale.
« J’ai vu sous mes yeux un missile après l’autre descendre à côté des tentes. Des missiles comme je n’ai jamais vus de ma vie, dans toutes les guerres de Gaza. N’est-ce pas interdit au niveau international ? La population civile ne devrait-elle pas être protégée et ne pas être confrontée à un génocide et à des massacres ? N’est-ce pas interdit ? »
« Ils ont tué des jeunes et des femmes âgées. Ils ne respectent pas les humains. Ne sommes-nous pas des êtres humains ? Il n’y a rien pour nous protéger de ces missiles. Les tentes nous sont tombées sur la tête et j’ai reçu deux éclats d’obus dans la jambe. Je risque d’être empoisonnée et je n’ai fait de mal à personne ».
« Ce ne sont pas des actions humaines », affirme Fawzia. « Un État normal saurait que les enfants et les femmes ont de la valeur. Leur vie est respectée. Il est interdit de les tuer. Il y a des guerres. Certains pays se battent dans le monde, mais pas comme ça. Pas comme ce qui se passe chez nous. »
« J’ai laissé mon fils et j’ai fui l’horreur des bombardements ».
Samah al-Farra, une survivante du massacre, raconte qu’elle a fui l’horreur des missiles, laissant son fils derrière elle sans savoir ce qu’elle faisait. Elle décrit ce qu’elle a vu après l’incident comme un témoignage des horreurs du jour de la résurrection. Le bruit des explosions, la panique des gens autour d’elle, la bousculade dans la tentative de fuite, les femmes quittant leurs tentes sans même porter leurs vêtements – Samah doit vivre en étant le témoin de toutes ces scènes brutales.
« Les gens couraient. Nous avions du sable dans les yeux et du feu au-dessus de nos têtes. J’ai laissé mon fils derrière moi et j’ai commencé à courir. J’ai trouvé le monde à l’envers. Les corps des martyrs étaient à côté de nous, coupés en morceaux. C’était un massacre. Les fragments, le sable et les corps volaient au-dessus de nos têtes pendant que nous courrions », raconte Samah.
Selon elle, si cette densité de missiles était tombée sur des bâtiments fortifiés, elle les aurait détruits. « Mais qu’en est-il lorsqu’ils tombent sur des tentes dont les propriétaires ne sont protégés que par un morceau de tissu ?
Elle décrit la scène comme une pluie de missiles tombant quatre fois de suite, avec plus d’une explosion à chaque fois. « Nous nous sommes sauvés. Si nous étions restés là où nous étions, nous aurions été découpés et ensevelis sous le sable ».
Les médias ont rapporté que les bombes utilisées lors de l’attaque d’al-Mawasi étaient des JDAM fabriqués aux États-Unis, qui transforment des bombes non guidées très destructrices en missiles plus précis.
Toute la zone a été bouleversée
Aziza Abu Tahir est assise devant les dégâts causés par le bombardement. Des sacs de farine, des litres d’eau, des légumes, des taies d’oreiller et des ustensiles jonchent la zone. Elle possède un four et s’assoit à côté tous les jours. Les femmes du camp lui envoient leur pâte à cuire pour une somme modique.
» Quand ils ont lâché les bombes au-dessus de nos têtes, tous les gens couraient et criaient en disant qu’il s’agissait de bombes incendiaires, et c’est la première fois que nous entendons un tel bruit « , déclare Aziza à Mondoweiss. « Nous nous sommes enfuis, mais personne ne savait où courir. Certaines personnes sont parties dans une direction et ont été bombardées, d’autres sont parties dans une autre direction et ont survécu. Mais personne ne savait où ils allaient ».
Pendant qu’elle parle, un petit enfant, le fils de sa voisine, la serre dans ses bras. Aziza raconte que sa mère s’occupe d’orphelins et explique que lorsque l’attaque a commencé, sa mère apportait de la pâte à Aziza pour qu’elle la fasse cuire afin de la revendre et d’obtenir un revenu pour sa famille. « Elle était juste là, j’ai fait cuire ce qu’elle voulait et elle est allée le vendre. Dès qu’elle s’est éloignée, les bombardements ont commencé. Je ne sais pas où elle est maintenant, et je ne sais pas si elle reviendra. Toute la zone dans laquelle elle marchait a été renversée et tout a été enterré. »
Les entretiens et photographies ont été menés par Hassan Suleih.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss