Comprendre la stratégie de légalisation par Israël de ses colonies dans le nord de la Cisjordanie

Alors qu’Israël lance un assaut politique et militaire contre la Cisjordanie, la légalisation des colonies de peuplement dans le nord est un élément crucial à comprendre.

Par Qassam Muaddi, le 16 juillet 2024

Des colons israéliens retournent à l’avant-poste israélien illégal de Homesh, le 23 décembre 2021. (Photo : Wajed Nobani/APA Images)

L’offensive israélienne contre la Cisjordanie, tant politique que militaire, s’est concentrée ces derniers mois sur sa partie nord, principalement à Jénine et à Tulkarem. Les raids militaires israéliens sont devenus quotidiens, déclenchant des niveaux de violence jamais vus depuis deux décennies. Depuis le début de l’année, les forces israéliennes ont tué 149 Palestiniens dans le gouvernorat de Jénine, 117 dans le gouvernorat de Tulkarem et 31 dans le gouvernorat de Tubas, pour la plupart dans les camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem, Nur Shams et Far’a.

Dans le même temps, la classe dirigeante politique israélienne a lancé une offensive politique contre la région, concentrée sur les efforts visant à relancer l’expansion des implantations et la colonisation dans une zone qui a été la moins touchée par les accaparements de terres par Israël au fil des ans.

Ce processus n’a pas commencé le 7 octobre non plus. Le nord de la Cisjordanie est revenu au premier plan de l’actualité dès la fin de l’année 2021, lorsque des colons au nord de Naplouse ont commencé à se rendre régulièrement sur le site évacué de ce qui était autrefois l’avant-poste illégal de Homesh, presque à mi-chemin entre Naplouse et Jénine, sur les terres du village palestinien de Burqa.

Les colons ont tenté d’imposer leur présence dans le village avec l’intention de réhabiliter l’avant-poste, en dépit du fait que les villageois de Burqa avaient obtenu une décision de la Cour suprême israélienne en 2013 pour récupérer leurs terres confisquées.

Puis, en décembre 2021, un Palestinien armé a ouvert le feu sur une voiture de colons israéliens qui se rendait à Homesh, tuant un colon et en blessant un autre. Israël a accusé deux frères d’avoir tiré : Ghaith et Omar Jaradat, âgés de 17 et 20 ans, originaires de la ville d’al-Sila al-Harthiyya, au nord de Jénine. L’armée israélienne les a arrêtés tous les deux et a détruit la maison de leur famille, laissant neuf personnes, dont leurs deux grands-parents âgés et trois enfants, sans abri.

Le retour à Homesh et la résurgence de la résistance armée

Homesh, ainsi que trois autres colonies situées dans le nord de la Cisjordanie, avaient été évacuées par l’armée israélienne en 2005. Elles n’ont jamais été légalisées par le droit israélien, comme de nombreux avant-postes de colons israéliens en Cisjordanie, où les Israéliens ne sont théoriquement pas autorisés à s’installer. En vertu du droit international, toutes les colonies israéliennes sont illégales.

Mais en janvier 2023, le gouvernement israélien décidait de légaliser Homesh. Netanyahou a demandé à la Cour suprême israélienne d’autoriser les colons à rester dans l’avant-poste pendant trois mois, jusqu’à l’achèvement du processus de légalisation. La juge en chef de l’époque, Esther Hayut, faisait remarquer que même si la loi empêchant les Israéliens de retourner à Homesh était abrogée, le problème juridique restait que l’ensemble de l’avant-poste a été construit sur des terres palestiniennes privées.

Au fil des mois, Homesh est devenu le fer de lance des efforts déployés par les colons pour recoloniser le nord de la Cisjordanie. Dans le même temps, les raids de l’armée israélienne sur les villes et villages de la région se sont intensifiés, introduisant des frappes aériennes à partir de juillet 2023. En conséquence, les groupes de résistance armés palestiniens développent leurs capacités de combat à Naplouse, Jénine et Tulkarem, augmentent leurs effectifs et gagnent en popularité, alors que les dirigeants palestiniens officiels de Cisjordanie ont pratiquement institutionnalisé leur capitulation face à l’occupation. Le nord de la Cisjordanie était pratiquement devenu une zone de guerre bien avant le 7 octobre.

Lorsque le génocide de Gaza a commencé, la répression israélienne déjà en cours dans le nord de la Cisjordanie s’est intensifiée. Les raids militaires sont devenus quasi quotidiens et incluent la destruction systématique des infrastructures civiles, comme le passage au bulldozer des rues et l’arrachage des canalisations d’eau et des réseaux électriques. Le camp de réfugiés de Jénine a été transformé en « petite Gaza ». En avril dernier, les forces israéliennes ont détruit la plupart des infrastructures du camp de réfugiés de Nur Shams à Tulkarem au cours d’un raid de 52 heures.

Simultanément, Israël intensifie son offensive de colonisation. En mai, le ministre israélien de la guerre, Yoav Gallant, a déclaré la révocation de la loi unilatérale israélienne de désengagement de 2005 pour le nord de la Cisjordanie, rendant ainsi légale, selon la loi israélienne, l’installation d’Israéliens à Homesh et dans trois autres avant-postes, qui ont été évacués aussitôt : Kadim, construit sur les terres de la ville palestinienne de Qabatya, Ganim, construit sur les terres des villages palestiniens de Deir Abu Daif et Um al-Tut, et Sanour, construit sur les terres des villages palestiniens de Jabaa, Fandaqomiyya et Sanour. L’armée israélienne a déclaré la région « zone militaire fermée » afin de procéder à des préparatifs de sécurité avant que les colons puissent s’y installer.

À peu près au même moment, Israël a légalisé cinq autres avant-postes de colons en Cisjordanie avant de procéder à la plus grande saisie de terres palestiniennes en trente ans, confisquant d’un seul coup 13 kilomètres carrés dans la vallée du Jourdain. La ministre des colonies du cabinet israélien, Orit Strook, a déclaré au début du mois de juillet que « les derniers mois ont été une période de miracles pour le mouvement de colonisation ».

Smotrich prévoit d’annexer la Cisjordanie

La loi de 2005 sur le désengagement avait été adoptée lors du retrait d’Israël de plusieurs zones de peuplement, dont Gaza et les quatre colonies du nord de la Cisjordanie. Lorsque l’assaut israélien sur Gaza a commencé après le 7 octobre, les colons ont commencé à demander la réinstallation de la bande de Gaza. L’abrogation de la loi sur le désengagement signifie que la guerre d’Israël contre les Palestiniens de Gaza s’étend désormais à la Cisjordanie, sous la forme d’un renouveau du mouvement de colons, mettant ainsi la Cisjordanie et Gaza dans la même catégorie.

La légalisation des colonies en Cisjordanie s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par le ministre israélien des finances Bezalel Smotrich, partisan de la ligne dure, pour accélérer l’annexion de la Cisjordanie. La plupart des implantations israéliennes se sont concentrées dans la zone C de la Cisjordanie, en particulier dans la vallée du Jourdain, qui a déjà été annexée de facto.

Mais le nord de la Cisjordanie est différent. Refuge de la majeure partie de la résistance armée, contrairement à la zone C du centre et du sud de la Cisjordanie, le nord de la Cisjordanie est tout sauf annexé. C’est pourquoi une avancée de la colonisation dans le nord de la Cisjordanie, même si elle est mineure, sera considérée comme une réussite significative pour l’agenda des colons et pour Smotrich personnellement.

Les colons présentent la politique agressive de colonisation comme une mesure de sécurité, un moyen de créer une présence israélienne plus « stable » dans une région où la résistance armée continue de prospérer. Le raisonnement est le suivant : à mesure que les colonies s’étendent, l’infrastructure militaire concomitante qui les soutient s’étend également, ce qui permet de mener des actions militaires plus importantes et plus directes dans la région. L’objectif ultime serait de créer une réalité similaire à celle que connaissent d’autres parties de la Cisjordanie, où la présence de l’armée israélienne et des colons est intimement liée et joue un rôle conjoint dans le découpage des terres palestiniennes.

La vision américaine

Fin juin, Israël a décidé de débloquer 260 millions de dollars sur les fonds douaniers retenus par l’Autorité palestinienne. En mai, alors que le ministre israélien de la guerre Yoav Gallant révoquait la loi sur le désengagement de la Cisjordanie, Smotrich a annoncé qu’il n’autoriserait pas le transfert à l’Autorité palestinienne d’un seul dollar de l’argent des douanes palestiniennes. Cette décision a exacerbé la crise financière de l’Autorité palestinienne, conduisant plusieurs analystes à prédire son effondrement financier.

Fin juin, M. Smotrich a accepté de débloquer une partie de l’argent des trois mois précédents en échange de l’approbation par le cabinet des mesures de colonisation qu’il avait proposées – principalement la légalisation de cinq avant-postes de colonies, y compris dans le nord de la Cisjordanie. Selon les médias, l’accord a été conclu entre d’autres ministres israéliens et M. Smotrich lors d’une réunion nocturne à la fin du mois de juin.

Toutefois, d’autres sources médiatiques citent des diplomates occidentaux anonymes affirmant que le déblocage des fonds fiscaux de l’AP et l’approbation de la légalisation des colonies est le résultat d’un accord américano-israélien visant à empêcher l’effondrement de l’AP. Bien que les États-Unis aient critiqué les mesures prises par Israël pour légaliser les avant-postes des colons au cours des mois précédents, Israël ne peut pas achever la légalisation sans l’approbation des États-Unis.

Au fil des ans, en particulier depuis les accords d’Oslo, les États-Unis ont publiquement considéré les colonies comme illégales, mais n’ont jamais pris de mesures significatives pour mettre un terme à leur expansion. Alors que l’administration Biden est officiellement revenue sur la reconnaissance par Trump de la légalité des colonies, imposant même des sanctions à plusieurs colons connus pour leur rôle dans des attaques violentes contre des Palestiniens, les colonies israéliennes sont financées par des fonds gouvernementaux israéliens avec l’approbation des États-Unis. Les colonies sont même soutenues par des organisations basées aux États-Unis et par des citoyens américains.

Le déblocage des fonds de l’AP a été perçu comme un signe que la vision américaine de l’après-guerre serait une période de stabilité en Cisjordanie, dont l’AP jouerait un rôle de sauvegarde important. Il est essentiel que le rôle de l’AP s’étende au nord de la Cisjordanie, qu’elle devra aider à contenir la propagation de la résistance armée.

Dans le cadre de cette vision globale, l’arrêt de l’expansion des colonies n’est à aucun moment considéré comme une option.

Ce que nous voyons, c’est l’émergence d’une stratégie coloniale israélienne holistique : elle lance un assaut sur la Cisjordanie en procédant à d’audacieuses acquisitions de terres, en utilisant la puissance militaire pour réprimer la résistance dans le nord de la Cisjordanie et les colonies comme fer de lance de sa stratégie d’annexion. Tout cela, avec l’approbation tacite des États-Unis.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

Retour haut de page