« Je ne cherche plus à donner de l’espoir » : comment la violence d’Israël a volé à l’artiste palestinienne Malak Mattar son amour pour la couleur

L’art puissant et singulier de Malak Mattar dépeint les luttes incessantes des Palestinien·nes dans le contexte du génocide israélien en cours à Gaza.

Par Zainab Mehdi, le 05 septembre 2024

Malak Mattar, artiste palestinienne de Gaza, utilise son art pour exprimer la violence et les traumatismes que sa famille et sa communauté ont endurés depuis la Nakba de 1948.

Artiste autodidacte, Malak a commencé à peindre à l’âge de 14 ans, pendant l’assaut militaire de 51 jours sur Gaza en 2014, en utilisant des fournitures scolaires de base.

Son style distinctif, qui se caractérise par des visages expressifs et des motifs semi-abstraits, a rapidement gagné une reconnaissance internationale. Elle a exposé ses œuvres au Costa Rica, en France, en Grande-Bretagne, en Inde, en Palestine, en Espagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne, en Suisse, en Turquie et aux États-Unis.

En 2018, Malak a reçu la meilleure bourse académique de Gaza, se classant deuxième de son groupe d’âge dans toute la Palestine. Cette réussite lui a permis d’étudier à l’étranger et d’obtenir une licence en sciences politiques à l’université Aydin d’Istanbul en 2022.

Son œuvre a fait la couverture de GQ Middle East en octobre 2021, et elle a également publié le livre pour enfants Sitti’s Bird : A Gaza Story (2022), inspiré de sa propre vie.

Malak a récemment terminé une résidence d’artiste à Londres avec An Effort, une organisation à but non lucratif qui soutient les femmes artistes de la région arabe, et poursuit actuellement un master en arts visuels (MFA) au Central Saint Martins de Londres.

Pendant sa résidence, l’artiste s’est attachée à documenter la réalité de la vie à Gaza. Certaines de ses peintures dépeignent avec force les dures réalités de la guerre, notamment des scènes de femmes et d’enfants décédés, de bébés prématurés abandonnés.

L’une de ses œuvres les plus remarquables, May the Birds Who Have Eaten Our Flesh Crash in Your Window (Que les oiseaux qui ont mangé notre chair s’écrasent à votre fenêtre), a été réalisée au fusain sur papier. Elle montre une volée d’oiseaux volant dans un ciel sombre, inspirée par les récits d’enfants parlant d’oiseaux picorant des cadavres.

Malak Mattar

Documenter les tragédies de la Palestine

En 2024, Malak Mattar a utilisé son art pour sensibiliser l’opinion à la violence dont sont victimes les Palestinien·nes, en présentant ses œuvres dans plusieurs expositions pour servir cette cause.

Il y a trois mois, la peintre a présenté une exposition personnelle intitulée The Horse Fell off the Poem à la galerie Feruzzi de Venise, du 16 avril au 14 juin.

L’exposition s’inspirait d’un poème du poète palestinien Mahmoud Darwish, qui oppose la nature et l’amour à la guerre. Ce contraste reflète la lutte de Darwish pour trouver un équilibre entre les thèmes humains universels et son expérience personnelle du conflit israélo-palestinien.

L’exposition individuelle, organisée par le directeur d’Abu Dhabi Art Dyala Nusseibeh, coïncidait avec la 60e Biennale de Venise, dont la participation d’Israël a suscité la controverse. Bien qu’elle ne fasse pas officiellement partie de la Biennale, l’exposition de Malak a offert un commentaire puissant sur la violence d’Israël, qui a profondément touché les spectateurs.

Après Venise, l’exposition Screams de Malak a été inaugurée en Écosse du 7 au 28 juin. Cette exposition présentait plus de 100 nouveaux dessins et peintures en réponse à la violence actuelle à Gaza. Elle comprenait à la fois de nouvelles œuvres monochromes et d’anciennes pièces colorées, offrant un aperçu de l’espoir pour l’avenir de la Palestine.

L’exposition faisait partie de l’étape d’Édimbourg du Falastin Film Festival (FFF), d’abord à l’Ambassade, puis à la In Vitro Gallery à Summerhall. Parmi les œuvres récentes les plus remarquables de cette exposition figure No Words, une grande peinture réalisée entre janvier et février 2024.

No Words, Malak Mattar, 2024

Cette œuvre puissante montre la dévastation de la guerre d’Israël contre Gaza, où plus de 40 000 personnes ont été tuées. La peinture dépeint les nombreuses pertes humaines, la souffrance des animaux, la destruction des sites historiques et le déplacement forcé des communautés palestiniennes.

S’inspirant à la fois de son expérience personnelle et de la couverture médiatique, Malak Mattar illustre le traumatisme lié à la destruction de sa patrie et la crainte constante pour la sécurité de sa famille.

« L’œuvre dépeint la dévastation infligée aux vies humaines, aux animaux, aux sites archéologiques et aux bâtiments historiques, ainsi que l’impact profond du déplacement forcé, qui a déchiré la société palestinienne pendant des générations », déclare Malak à New Arab dans une interview exclusive à propos de son œuvre. Elle y explique que la création de cette œuvre monumentale a nécessité l’utilisation de témoignages, d’images de la famille et des amis, de la presse et des médias sociaux, et qu’elle a été achevée en un mois environ, après des semaines de planification méticuleuse, d’esquisses et de préparation.

Malak fait part de son combat contre le traumatisme de voir sa maison détruite de loin et de l’anxiété de sa famille restée dans le centre de Gaza : « Remplie d’histoires personnelles et de motifs familiers de mon enfance sous l’occupation, cette œuvre reflète à la fois la principale tragédie humaine de ce siècle et mes propres émotions ».

De la couleur au monochrome

Le parcours artistique de Malak témoigne de sa force et de sa résilience, mises en évidence par des œuvres vibrantes et colorées, même dans les périodes sombres. Cette vivacité était particulièrement évidente dans sa série You and I de 2021, créée au beau milieu de l’assaut israélien sur Gaza.

Toutefois, ses travaux récents évoluent de manière spectaculaire vers une palette en noir et blanc. Ce changement reflète un profond sentiment de deuil et de chagrin, signalant un changement important dans son orientation artistique.

« Je ne cherche plus à donner de l’espoir aux autres », explique-t-elle. L’utilisation du monochrome fait également écho aux photographies de la Palestine datant de l’époque coloniale, offrant à la fois une réflexion profondément personnelle sur ses expériences et une perspective historique plus large.

Malak Mattar espère que son œuvre incitera les spectateurs à agir contre les crimes de guerre commis par Israël. « J’espère que mon travail incitera le public à lutter contre l’injustice, que ce soit en protestant, en soutenant le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions, ou par d’autres formes d’activisme », déclare-t-elle.

Pour conclure l’entretien, l’artiste fait remarquer que son travail a été accueilli avec beaucoup de chaleur : « J’ai reçu de la solidarité et du soutien, ce qui a donné lieu à des discussions importantes ».

Dans ses projets en cours et à venir, Malak continuera à documenter et à partager les réalités auxquelles sont confrontés les Palestiniens, en présentant leurs histoires et leurs luttes tout en servant de rappel puissant de leurs expériences et du besoin urgent de justice et de paix.

Actuellement, Malak Mattar se prépare à une exposition individuelle à Londres cet automne.

Zainab Mehdi est rédactrice en chef adjointe du New Arab et chercheuse spécialisée dans la gouvernance, le développement et les conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Pour la suivre sur X : @zaiamehdi

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine

Source : New Arab

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