Le nouveau livre « Daybreak in Gaza : Stories of Palestinian Lives and Culture » vise à lutter contre la déshumanisation qui est au cœur du génocide de Gaza en mettant en lumière la dimension humaine d’une terre sous attaque.
Par Steve France, le 15 septembre 2024
LE JOUR SE LÈVE À GAZA
Histoires de la vie et de la culture palestiniennes
Édité par Mahmoud Muna, Matthew Teller, avec Juliette Touma et Jayyab Abusafia
336 p., Saqi Books £14.99
Un génocide réussi nécessite la déshumanisation de ses victimes, afin d’éviter tout scrupule de la part de ses auteur·ices et d’endormir le monde qui le regarde. Alors qu’Israël cherche à terminer sa longue guerre contre les Palestinien·nes de Gaza, il a lancé des tropes de déshumanisation à un rythme effréné. Les Palestinien·nes de Gaza ont résisté avec acharnement, même s’ils et elles ont été traité·es comme des animaux. Ils et elles savent que leur humanité est et a toujours été la clé de leur survie et de leur résistance.
Les Palestinien·nes savent aussi que le monde, et en particulier les Américain·es, doivent prendre conscience de leur humanité – et de leur humanisme – pour qu’il y ait un espoir d’intervention internationale. Tel est l’objectif de Daybreak in Gaza : Stories of Palestinian Lives and Culture, une nouvelle compilation d’écrits de poètes, d’écrivain·es, de médecins, de scientifiques, d’enseignant·es, d’étudiant·es, d’agriculteur·ices, de commerçant·es, d’enfants et de leurs parents, etc. Les auteur·ices partagent leur douleur, leur chagrin et leur désarroi, ainsi que leur amour pour leur patrie captive.
Les rédacteurs en chef, Mahmoud Muna, qui dirige la célèbre Educational Bookshop de Jérusalem, et Matthew Teller, auteur de Nine Quarters of Jerusalem : A New Biography of the Old City, expliquent que ce livre est « une tentative d’amplifier les voix marginalisées et d’éclairer les histoires cachées pour évoquer l’esprit [humain] d’un lieu attaqué ». Ces voix percent nos défenses, chacune à sa manière, et donnent un aperçu de la résilience et du courage personnels qui, ensemble, expliquent la force incroyable de Gaza.
Pourtant, « les Gazaoui·es ne veulent pas être qualifié·es de super-héro·ïnes », écrit le romancier Mahmoud Joudeh. Le danger de l’étiquette de super-héros, prévient-il, est qu’elle « soulage la conscience des spectateur·ices et justifie leur incapacité à soutenir les personnes dans le besoin. Les super-héro·ïnes n’ont besoin de personne, mais nous sommes tout le contraire : nous sommes des gens comme les autres ».
L’essai de Joudeh est l’un des quelque cent récits personnels qui, dans Daybreak, exposent les mensonges déshumanisants sur lesquels repose le récit sioniste d’effacement. Ce livre doit figurer sur l’étagère de tou·tes les ami·es de la Palestine et de tou·tes celles et ceux qui croient aux droits de l’homme, car le sort de Gaza aura un impact mondial sur l’avenir des droits de l’homme et de la moralité, notamment en Amérique.
Tout au long de l’ouvrage, on sent que les auteur·ices affirment implicitement : « Nous sommes humain·es, tout autant que vous, cher monde ». Ils et elles évoquent les petits plaisirs poignants de leur vie quotidienne d’avant le génocide dans l’unique communauté de réfugié·es de Gaza, des moments simples auxquels nous pouvons tous nous identifier. Bien que résidant dans ce qui a longtemps été qualifié de « prison à ciel ouvert », les Palestinien·nes ont trouvé des moyens de se sentir heureux·ses d’y vivre après la Nakba de 1948, l’invasion et l’occupation de 1967, et même pendant le siège cruel d’Israël qui a précédé le 7 octobre.
« Mon quotidien était extraordinaire », écrit Noor Swirki. « Je commençais par marcher le long de la mer sur la Corniche. Après le travail, j’allais à la salle de sport, puis je passais la soirée avec mes enfants et mes ami·es. Nous avions des visites, des activités de plein air… des endroits où aller — nous avions trop de choses à faire, en fait ». Elle raconte ensuite les tourments de son « mode de vie » actuel, lié au génocide.
Leila Haddad, autrice de The Gaza Kitchen, se souvient que les soirs d’été, la rue Jundi « se remplissait de familles qui se promenaient, profitant de la brise marine » et se rendaient chez Saqallah, la célèbre pâtisserie transplantée de Jaffa après que la population de l’ancienne ville a été chassée pratiquement du jour au lendemain en 1948. Même les plaisirs les plus simples nécessitaient de briser le siège. Les pistaches étaient interdites et devaient être introduites en contrebande par les tunnels.
Dans une sorte de lettre d’amour à sa Gaza, Ebraheem Matar, médecin en soins intensifs, énumère, parmi les nombreuses choses qu’il craint d’avoir perdues à jamais, le fait de « s’asseoir à nouveau dans ce café qui sert cet incroyable café et ce gâteau au Nutella et d’avoir l’impression d’être dans la plus belle ville du monde… d’acheter du poisson frais dès qu’il sort de la mer… d’écouter de la musique avec des amis en parlant, en riant et en se moquant du monde jusqu’à ce que le matin vienne ».
La mer est souvent citée, de même que le ciel bleu, le soleil chaud et le sable de Gaza. La mère de Yousef Al-Khouri lui racontait : « Au moins, le soir, lorsque ton père avait fini de travailler, nous pouvions aller à la plage. Il fumait sa cigarette, nous buvions notre café, puis nous rentrions à la maison ». Elle disait que c’était comme aller au paradis et revenir en enfer.
Il poursuit : « Les gens considèrent [la mer de Gaza] comme une amie, quelqu’une à qui ils peuvent parler, raconter leurs histoires et leurs soucis, partager leurs fardeaux et savoir qu’ils ne seront pas trahis. … Aujourd’hui encore, la première chose que les gens font lorsqu’il y a une pause dans les bombardements, c’est d’aller à la plage ». De même, Tahani Ghayad écrit : « J’aimais la regarder, comme si la mer répondait à mon émotion, apaisait mon âme et me réconfortait. »
Aujourd’hui, cependant, même la mer bien-aimée, comme le ciel bleu, apporte la mort tous les jours. Le Dr Mohammed Aghaalkurdi, médecin à Medical Aid for Palestinians, parle d’une pause dans les bombardements où les gens ont accepté « l’aimable invitation de la mer ». Il en a vu beaucoup « patauger dans l’eau avec leur gel douche et leur joie. Je m’arrête pour admirer la scène et en tirer une leçon de résilience… Soudain, j’entends des moteurs s’élever. En regardant de l’autre côté de l’eau, je vois deux canonnières qui se dirigent vers la plage. À l’approche des bateaux de pêche, elles ouvrent le feu. Tout le monde est terrifié et tente de s’enfuir. »
Les artilleur·euses dans les canonnières et les tueur·ses dans les avions meurtriers : ce sont elles et eux que beaucoup d’Américain·es connaissent et prennent au sérieux, et qu’ils ou elles ne considèrent jamais comme des terroristes. Les Israélien·nes ne sont pas non plus considéré·es comme des terroristes lorsqu’ils et elles empêchent la nourriture, l’eau et les médicaments d’atteindre les habitant·es mourant·es de Gaza. Il y a toujours une explication ou une excuse pour se disculper, même si nous ne savons pas exactement laquelle. La situation est compliquée, nous dit-on.
Notre état d’esprit déformé mais durable est d’une telle absurdité que l’architecte et anthropologue Khaldun Bshara fait précéder sa discussion sur la restauration des beaux bâtiments anciens de Gaza d’une remarque ironique formulée par son collègue Reem Abu Jaber : « Nous, à Gaza, nous allons bien. Mais comment allez-vous ? Qu’en est-il de votre conscience, de vos valeurs, de tout ? Nous sommes inquiet·es. »
Al-Khouri écrit : « On nous a présenté·es à tort comme des terroristes sanguinaires et analphabètes, mais ce n’est pas le cas. Nous sommes une belle communauté qui aime la vie et qui vous accueillera, vous nourrira et vous protégera. Le monde a besoin des Gazaoui·es, des gens qui refusent de céder au désespoir et qui trouveront toujours un moyen de s’en sortir. »
« Vous ne pouvez pas effacer Gaza », conclut-il. « Vous pouvez occuper Gaza, vous pouvez détruire Gaza, mais vous ne pourrez jamais nous la prendre. »
Pourtant, la peur humaine de mourir et de disparaître est très présente. « Je suis Ahmed et j’ai peur de mourir et de devenir un numéro avant d’avoir terminé ce que j’ai à écrire ». C’est ainsi que se termine la première entrée de Daybreak, tirée du journal d’Ahmed Mortajay le 13 octobre. Avec seulement 387 mots, sa contribution est à peine plus que ce que pourrait contenir un « message dans une bouteille » jeté dans une mer immense. Il reprend le cri des habitant·es de Gaza avant le génocide — « Nous ne sommes pas des numéros » — leur tentative de briser l’apathie du monde face au siège étouffant qu’Israël a infligé aux habitant·es de Gaza après 2006 et qui a précédé l’attaque du Hamas le 7 octobre.
La peur de se dissoudre dans un numéro est récurrente. « Si la prochaine bombe est pour moi », écrit Heba Almaqadma, « je serai un numéro à ajouter au nombre de personnes tuées dans le génocide — et alors je serai oubliée. » Un ancien « Genocide Joe » — Joseph Staline — aurait compris, lui qui disait qu’un·e seul·e mort est une tragédie, tandis qu’un million n’est qu’une statistique.
Combien d’Américain·es liront Daybreak in Gaza ? Combien s’autoriseront à voir que l’opération « Iron Sword » n’est pas un simple accès de violence ? C’est la finalité d’Israël : détruire tout vestige de la Palestine. Peu importe qu’il devienne un État paria. L’éradication de la « tribu » palestinienne a toujours été la vision du prophète le plus vénéré des colons, le rabbin-politicien Meir Kahane. Pour lui, devenir un État paria était un prix acceptable à payer — et même un insigne du peuple élu de Dieu.
Hiba Abu Nada, de Khan Younis, était également prophète lorsqu’elle a écrit dans son journal : « Devant Dieu, à Gaza, nous sommes soit des martyr·es, soit des témoins de la libération, et nous attendons tous·tes de savoir où nous tomberons. Nous attendons tous·tes, ô Dieu. Ton vœu est vrai ».
Ce soir-là, une frappe aérienne israélienne l’a tuée avec sa famille.
Deux jours plus tôt, elle avait écrit : « Si nous mourons, sachez que nous sommes volontaires et inébranlables, et dites de nous que nous sommes un peuple qui a des droits légitimes ». Daybreak in Gaza a livré son testament.
Toutes ces voix s’élèvent, certaines dans le ciel comme des cerfs-volants enflammés, des planeurs inarrêtables ou un essaim d’abeilles, d’autres plutôt comme des tortues déterminées, nageant sur des sables arides, surmontant tous les obstacles, donnant naissance à la génération suivante.
Steve France est journaliste et avocat (aujourd’hui à la retraite), il vit dans la région de Washington. Militant pour les droits des Palestinien·nes, il est affilié au réseau Palestine-Israël de l’Episcopal Peace Fellowship et à d’autres groupes chrétiens de solidarité avec les Palestinien·nes.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972