Cueillir des poivrons, patrouiller pour surveiller les Palestiniens : les « nouveaux gardiens » de l’agriculture israélienne

Grâce à un financement gouvernemental important, Hashomer Hachadash envoie des volontaires pour consolider le contrôle israélien sur les terres agricoles ouvertes – des deux côtés de la Ligne verte.

Par Georgia Gee, le 16 septembre 2024

Un volontaire lors d’une récolte de poivrons à Moshav Hamra, colonie israélienne dans la vallée du Jourdain, le 9 novembre 2023. (Dor Pazuelo/Flash90)

Dans les fermes d’Israël, des bénévoles cueillent des fraises, plantent des courgettes et récoltent des concombres. Des étudiant·es américain·es posent avec des poivrons et des ananas, vêtu·es de T-shirts portant le logo de Hashomer Hachadash, une organisation israélienne à but non lucratif. Elles et ils sont devenu·es « les meilleurs ambassadeur·ices qu’Israël puisse demander », a récemment déclaré Avi Cohen-Scali, directeur général du ministère des affaires de la diaspora. « C’est émouvant et réconfortant. »

Hashomer Hachadash (« Le nouveau gardien ») est la plus importante des organisations « agricoles » israéliennes basées sur le volontariat. Depuis plus d’une décennie et demie, ses vastes programmes pour la jeunesse — de l’agriculture à l’équitation — lui ont permis de devenir l’une des plus grandes organisations à but non lucratif du pays, avec un budget de plus de 33 millions de dollars et, selon ses dires, plus de 120 000 bénévoles par an.

Depuis le début de la guerre d’Israël contre Gaza, l’organisation est encore plus sous les feux de la rampe. L’attaque du 7 octobre menée par le Hamas a déclenché un exode massif des travailleur·euses étranger·es d’Israël, et Hashomer Hachadash a donc encouragé les volontaires à venir sauver « l’agriculture israélienne des cendres ». Des milliers de personnes de tout le pays — et du monde entier — ont répondu à l’appel et se sont précipitées pour aider les agriculteur·ices israélien·nes.

Mais les scènes agricoles pittoresques cachent un programme qui va au-delà de la cueillette des fruits et qui, dans la pratique, consiste souvent à patrouiller les terres pour consolider le contrôle juif-israélien — des deux côtés de la ligne verte. Cette organisation n’est pas la seule à agir de la sorte : le mois dernier, les États-Unis ont annoncé des sanctions contre Hashomer Yosh, une autre ONG israélienne qui envoie des volontaires dans des avant-postes agricoles en Cisjordanie occupée et facilite le vol brutal de terres palestiniennes.

Hashomer Hachadash est moins ouvert que Hashomer Yosh quant à son programme politique et jouit d’une réputation beaucoup moins sulfureuse. Et malgré leur nom similaire, les deux organisations ne semblent pas avoir de liens officiels l’une avec l’autre. Mais les ambitions de Hashomer Hachadash, selon les militant·es, ne sont pas moins insidieuses que celles de Hashomer Yosh.

Un volontaire de Hashomer Hachadash participe à une marche des drapeaux à Lod, le 5 décembre 2021. (Oren Ziv)

« Il est toujours surprenant de constater à quel point cette organisation est légitime au sein des communautés traditionnelles », a déclaré Amnon Be’eri-Sulitzeanu, codirecteur exécutif de l’Initiative d’Abraham, une organisation à but non lucratif qui promeut le partenariat entre Juifs et Arabes. En réalité, Hashomer Hachadash a toujours été « basé sur des valeurs nationales extrémistes et veut s’assurer que les Arabes restent à l’écart des espaces ouverts ».

Cela est devenu plus évident depuis le début de la guerre, et le groupe a été aidé dans sa mission par le gouvernement israélien. Le ministère des colonies et des missions nationales, dirigé par Orit Strook, une dirigeante d’extrême droite qui nie l’existence du peuple palestinien, a récemment transféré environ 50 millions de NIS (près de 13,5 millions de dollars) à Hashomer Hachadash.

La subvention vise à accroître la « présence du groupe dans les zones ouvertes » — y compris en Cisjordanie — et à renforcer « la résilience de la communauté dans la zone de colonisation ». Dans le cadre de cet accord, Hashomer Hachadash s’est engagé à assurer 15 000 tours de garde. Il n’y a pas eu d’appel d’offres car le ministère a déterminé que l’organisation était le « seul prestataire » dans ce domaine.

« Ils ont reçu tout l’argent du gouvernement depuis le 7 octobre [pour ce type de travail] », a déclaré Hagit Ofran, directrice du projet “Settlement Watch” au sein de Peace Now, une association de défense des droits de l’homme. « Tout d’un coup, tout est passé par Hashomer Hachadash. »

Hagit Ofran, Peace Now (Jstreet CC BY NC SA 2.0)

Hashomer Hachadash a également élargi la portée de ses efforts de maintien de l’ordre, et pas seulement dans les fermes. En novembre, il a créé « La garde du peuple » pour former les communautés ultra-orthodoxes aux techniques de défense et les aider à obtenir des permis de port d’armes pour les gardes. La police israélienne a approuvé le projet.

+972 a contacté l’organisation pour demander plus d’informations sur ses activités en Cisjordanie occupée et ses liens avec le gouvernement israélien. La réponse, envoyée par un avocat, est une déclaration décrivant Hashomer Hachadash comme « une organisation éducative, sioniste, non partisane et bénévole qui aide les agriculteurs de tout le pays, sans distinction de religion, de race ou de sexe, dans la lutte contre la criminalité agricole ». L’avocat menace également nous poursuivre en justice si nous publions cet article.

Montrer sa présence

Les racines idéologiques du Hashomer Hachadash remontent au mouvement Hashomer, créé au début du XXe siècle pour patrouiller dans les colonies juives de Palestine. Son pionnier, Alexander Zaïd, un immigrant sioniste de Russie, reste le symbole sur les T-shirts de Hashomer Hachadash.

Yoel Zilberman, le fondateur de Hashomer Hachadash, aime raconter comment tout a commencé. En 2007, son père lui annonce vendre le ranch familial en Basse-Galilée en raison des vols constants commis par des Bédouins sur leur propriété, vols auxquels la police n’a pas mis fin, selon lui. Le jeune Zilberman, qui sert à l’époque dans la marine israélienne, ne peut pas laisser passer cela. Il rentre chez lui et a installe un campement avec un drapeau israélien, une pile de livres et une tente. Avec quelques amis militaires, il commence à patrouiller sur les terres de son père pour repousser les « envahisseurs ».

Dès le début, les actions de l’organisation ne se limitent pas à la protection des terres agricoles. Elle cherche à utiliser l’agriculture pour renforcer la présence juive israélienne sur les terres rurales, déplaçant ainsi les Palestinien·nes. La mission était de « créer un changement mental et stratégique dans la société israélienne, de rétablir le lien affaibli avec la terre et le sol, et d’accroître l’importance de la possession de terres dans les territoires ouverts du Néguev et de la Galilée » — régions situées respectivement au sud et au nord d’Israël qui abritent d’importantes communautés palestiniennes — en établissant des postes d’observation à proximité des pâturages.

Un monument à la mémoire d’Alexandre Zaïd près du parc national de Bet She’arim, en Israël. (Ilan Guy/Wikimedia Commons)

En mars 2008, Hashomer Hachadash tient sa conférence de fondation en Galilée. Elle devait coïncider et venir perturber les événements de la Journée de la terre, au cours de laquelle les citoyen·nes palestinien·nes d’Israël commémorent l’assassinat, en 1976, de six manifestant·es non armé·es qui protestaient contre la confiscation par Israël de près de 5 000 acres de terres palestiniennes, et y faire obstruction.

Quelques semaines plus tard, le groupe organise une manifestation contre la commémoration du jour de la Nakba, également en Galilée, qui rapidement tourne à l’affrontement et se solde par l’arrestation de 31 participant·es palestinien·nes. Peu de temps après, Mondoweiss rapportait que des membres de l’organisation avaient pénétré illégalement sur un terrain appartenant à une famille palestinienne en Cisjordanie.

En 2011, +972 rapportait que l’armée israélienne était tellement impressionnée par Hashomer Hachadash qu’elle avait permis à des dizaines de recrues de reporter leur service militaire d’un an pour faire du bénévolat au sein du groupe. Le programme pré-militaire comprenait des leçons d’équitation, d’élevage de bétail et des théories sur « les minorités en Israël, la sécurité et l’application de la loi ». Ram Shmueli, ancien chef des renseignements de l’armée de l’air israélienne, est ensuite devenu président de l’organisation. (L’armée israélienne a déclaré à +972 n’avoir aucun lien avec le Hashomer Hachadash).

« Hashomer Hachadash poursuit la tradition militariste qui existe depuis longtemps dans la culture israélienne et que l’on retrouve également dans d’autres mouvements de jeunesse, mais à une échelle différente », a déclaré le Dr Nir Gazit, directeur du département des sciences du comportement au Ruppin Academic Center, qui a effectué des recherches et rédigé plusieurs articles sur l’organisation.

Au cours de ces premières années, l’organisation se développe rapidement : son réseau de volontaires annuels passe de 3 700 en 2013 à 21 450 en 2015. Cette année-là, elle élabore un plan visant à établir 100 postes d’observation dans le Néguev et la Galilée au cours des cinq années suivantes, avec « deux à quatre gardes patrouillant la terre [la nuit] d’une manière qui montre ouvertement leur présence ». Elle établit également quatre « écoles agricoles affiliées », qui ont les taux d’enrôlement militaire les plus élevés du pays.

Hashomer Hachadash reçoit le prix présidentiel israélien du bénévolat, le 19 juin 2024. (Wikimedia Commons)

Une milice soutenue par le gouvernement

Parallèlement à une augmentation exponentielle du recrutement de volontaires, les années suivantes ont également vu Hashomer Hachadash consolider sa relation avec le gouvernement israélien. En 2017, elle voit un afflux massif de fonds publics lorsque l’administration de l’identité juive du ministère des Services religieux — créée par l’ancien Premier ministre Naftali Bennett — élargit un projet intitulé « Sionisme et judaïsme ».

L’argent sert à financer des programmes dans les écoles, et d’autres impliquant des jeunes juif·ves du monde entier, conçus pour « renforcer le lien entre le peuple juif, son héritage et sa terre ». Les fonds ont également servi à financer « la garde et l’assistance aux agriculteurs et aux éleveurs de bétail ».

Bennett a fait partie du conseil d’administration de l’organisation en 2010 et a été photographié portant le t-shirt du groupe lorsqu’il était ministre de l’économie quelques années plus tard. En 2022, pendant son mandat de premier ministre, Bennett annonce qu’il souhaite créer une force armée civile qui pourrait être basée, en partie, sur le Hashomer Hachadash. Après les élections israéliennes en fin d’année, le nouveau ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, présente un plan similaire tout en envisageant la possibilité de recruter des volontaires du Hashomer Hachadash.

Même le conseiller à la sécurité nationale d’Israël déclare que l’organisation doit travailler aux côtés des forces de police du pays. « L’esprit de volontariat du Hashomer Hachadash devrait rejoindre les capacités organisationnelles de la police des frontières, de la police israélienne et de toutes les autorités chargées de la sécurité », a déclaré Tzachi Hangebi lors d’une conférence l’année dernière. « Il s’agit là d’un véritable facteur d’égalité. »

« L’idée même que le Hashomer Hachadash a contribué à lancer — [que] des civils assurent le maintien de l’ordre — est très problématique », déclare Ofran de Peace Now.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le conseiller à la sécurité nationale Tzachi Hanegbi lors d’une conférence de presse, le 28 septembre 2023. (Chaim Goldberg/Flash90)

Entre-temps, Hashomer Hachadash semble étendre sa présence en Cisjordanie. En 2022, Local Call a rapporté que l’organisation opérait sur des terres palestiniennes privées à Jérusalem-Est. L’année dernière, selon la publication hébraïque Kenes Media, le groupe s’est lancé dans un « processus accéléré » d’établissement d’activités dans toutes les colonies de la vallée du Jourdain. Des individus portant des vêtements Hashomer Hachadash ont également été documentés en train de participer à des actes de violence commis par des colons et de tenter de forcer des Palestiniens à quitter leurs terres.

« Ils sont sur un fil », a déclaré M. Gazit à +972. « Le potentiel de violence est constamment présent, mais ils essaient intentionnellement de le blanchir, de le garder dans les coulisses — pas dans le cadre de leurs pratiques officielles. »

Depuis le 7 octobre, les colons israéliens ont intensifié leurs efforts pour déplacer des dizaines de communautés de berger·es palestinien·nes dans le nord de la vallée du Jourdain, en collaboration avec les forces de sécurité et le Conseil régional de la vallée du Jourdain. Bien que le rôle de Hashomer Hachadash dans cette affaire reste opaque, l’organisation continue d’organiser des journées de volontariat tous frais payés dans la région.

« Ils ont déjà dit qu’ils et elles ne travaillaient pas au-delà de la ligne verte, mais c’est faux », a déclaré Dror Etkes, fondateur de l’organisation israélienne Kerem Navot, qui surveille les activités de colonisation en Cisjordanie. « Je les ai vus dans la partie nord de la vallée du Jourdain, qui était auparavant un peu plus calme [en termes de violence des colons] que d’autres parties de la Cisjordanie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

Des colons juifs lors d’une cérémonie d’inauguration de la première pierre d’un nouveau quartier dans la colonie de Moshav Gitit en Cisjordanie, dans la vallée du Jourdain, le 2 janvier 2014. (Uri Lenz/Flash90)

Zilberman, le fondateur de l’organisation, déclarait au début de l’année que, dans le cadre des efforts visant à renforcer l’emprise d’Israël dans les zones rurales, il s’apprêtait à planter un vignoble « juste à côté de la barrière frontalière syrienne, à 100 mètres de celle-ci ». Il ajoutait : « Je n’ai pas peur, au contraire. C’est précisément le moment ».

Financé par des milliardaires américains

Depuis le début, Hashomer Hachadash a été largement soutenu par des fondations américaines. En 2010, plus de la moitié du financement du groupe provenait de feu le milliardaire Irving Moskowitz et de son épouse Cherna, qui soutenaient fortement les groupes de colons à Jérusalem-Est. Par l’intermédiaire de leur fondation américaine, le couple a fait don de plus de 1,4 million de NIS (près de 380 000 dollars) à l’organisation entre 2010 et 2013.

Ces dernières années, au moins une demi-douzaine de dons à Hashomer Hachadash ont été effectués par des fondations américaines via le Fonds national juif. En 2021 et 2022, Donors Trust – une fondation américaine conservatrice tristement célèbre – a fait des dons anonymes d’un montant total de 140 000 dollars à l’organisation. Plus frappant encore, feu Sheldon Adelson et son épouse Miriam, qui ont été parmi les plus grands donateurs de Donald Trump et ont soutenu de nombreuses causes de droite en Israël, ont donné plus de 6 millions de dollars à Hashomer Hachadash entre 2019 et 2022 par l’intermédiaire de leur fondation basée en Californie.

Après le 7 octobre, Hashomer Hachadash s’est positionné comme le sauveur de l’agriculture israélienne et a bénéficié d’une hausse spectaculaire des financements en provenance de la diaspora juive. En février, Hashomer Hachadash a annoncé qu’il accorderait des prêts d’urgence sans intérêt d’un montant maximal de 100 000 NIS aux agriculteurs israéliens des régions proches de Gaza et de la frontière libanaise, financés par des dons de Juifs de la diaspora.

Les Fédérations juives d’Amérique du Nord, une organisation faîtière représentant des centaines de communautés juives, ont donné 300 000 dollars « en réponse à la crise agricole qui sévit actuellement en raison de la guerre ». En mars, l’organisation Combined Jewish Philanthropies, basée à Boston, a également accordé une subvention d’urgence de 250 000 dollars. Enfin, la Ruderman Family Foundation, une fondation philanthropique privée de Boston, a donné 100 000 dollars pour le projet « The People’s Guard ».

« Vous voyez l’ampleur de cette organisation et la façon dont elle a réussi, avec beaucoup d’élégance, à pénétrer de larges secteurs de la société israélienne », a fait remarquer M. Gazit. « Elle dispose d’un grand pouvoir et d’un soutien politique très fort. Il est très difficile de ne pas se demander où cela va nous mener ».

Georgia Gee est une journaliste d’investigation qui couvre les questions de droits de l’homme, d’abus environnementaux et de surveillance. Son travail a été publié dans la presse écrite, dans des podcasts et dans des documentaires, notamment pour The Intercept, Foreign Policy et le Organized Crime and Corruption Reporting Project (projet de reportage sur le crime organisé et la corruption). Auparavant, elle a été la principale enquêtrice de Ronan Farrow au New Yorker et à HBO, et rédactrice pour le Organized Crime and Corruption Reporting Project.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972

Retour en haut