Sentant sans entendre les bombes, déplacé·es sans leur équipement spécialisé, malmené·es par les chiens de l’armée : voilà comment les Palestinien·nes qui souffrent de handicaps physiques et cognitifs survivent et meurent au milieu de l’assaut israélien.
Par Ibtisam Mahdi, le 27 septembre 2024
Dans l’après-midi du 23 juillet, des obus d’artillerie ont soudain commencent à pleuvoir de toutes parts à Bani Suheila, à l’est de Khan Younis. La famille Al-Najjar se précipite hors de sa maison, paniquée, tentant désespérément de fuir les bombardements aveugles. Mais une fois hors d’atteinte de la ligne de feu immédiate, elles et ils se rendent compte qu’il manque quelqu’un.
Iyad, 37 ans, souffre depuis longtemps de troubles cognitifs et d’une mobilité réduite. Alors que la famille fuit sa maison, son frère Mohammad se souvient que « chacun·e d’entre nous pensait que quelqu’un·e d’autre avait emmené Iyad avec elle ou lui. La situation était terrible : [d’abord, il y a eu] des tirs d’obus aveugles, puis les chars ont commencé à envahir la zone ». Pendant tout ce temps, Iyad est resté coincé dans la maison.
Incapable de retourner dans leur maison assiégée, la famille d’Iyad attend près d’une heure dans l’espoir qu’il aurait réussi à les suivre, malgré sa quasi-immobilité. « Nous avions encore l’espoir qu’il se montrerait », explique Mohammad à +972. « Mais les tirs d’obus se sont rapprochés et nous avons dû nous rendre dans un endroit plus sûr. »
Après avoir passé une semaine dans une tente près de l’hôpital Nasser, la famille peut finalement rentrer chez elle lorsque les forces israéliennes se sont retirées de la zone. À son arrivée, elle découvre le corps en décomposition d’Iyad dans le jardin, criblé de balles.
Mohammad a été choqué de le trouver là, étant donné qu’il aurait été difficile pour Iyad de quitter le salon, où la famille l’avait vu pour la dernière fois. « Nous sommes convaincu·es qu’il a été traîné dans le jardin et exécuté là », a déclaré Mohammad.
« Quiconque voit mon frère Iyad se rend compte qu’il est handicapé et qu’il ne représente de menace pour personne », a-t-il ajouté. « Pourtant, il a été exécuté à l’intérieur de sa maison. Les soldat·es auraient pu le laisser en vie, il ne leur aurait rien fait ». L’armée israélienne a refusé de répondre aux questions de +972 concernant les circonstances de l’assassinat d’Iyad.
Depuis le 7 octobre, les Palestinien·nes de la bande de Gaza sont confronté·es à d’incessants bombardements israéliens, à de multiples déplacements forcés, à la maladie, à la famine et à d’innombrables autres problèmes. Mais les souffrances des quelque 130 000 Palestinien·nes handicapé·es de la bande de Gaza ont été encore aggravées par leurs conditions de vie.
Selon les Nations unies, l’armée israélienne a ordonné l’évacuation de plus de 80 % de la superficie totale de la bande de Gaza. Être forcé d’abandonner sa maison au pied levé est une chose difficile pour n’importe qui, mais les personnes handicapées ont rencontré d’immenses difficultés à fuir. La grande majorité des hôpitaux, des cliniques et des centres médicaux ayant été détruits ou ne fonctionnant plus, les Palestinien·nes handicapé·es sont dans l’impossibilité d’accéder aux services médicaux ou de rééducation nécessaires à leur prise en charge.
« Leur sentiment d’incapacité à continuer à vivre ou à faire face à la situation actuelle s’est intensifié, accentuant les sentiments d’infériorité », déclare à +972 Zarif Al-Ghora, chef du Réseau des personnes représentatives des personnes handicapées, qui représente toutes les institutions et groupes basés à Gaza et travaillant avec des personnes handicapées. « Beaucoup n’ont pas été en mesure de surmonter leur situation. Et pour celles et ceux qui ont survécu, ainsi que pour les familles des personnes tuées, chacun·e d’entre elles et eux a une histoire à déclarer sur son vécu. »
Nous n’avons pas pu le sauver, ni des soldats, ni du chien.
Alors que la famille Al-Najjar réclame une enquête internationale pour déterminer les raisons de l’exécution d’Iyad et les circonstances de ses derniers jours, la famille Bahar, originaire de la région de Shuja’iya, à l’est de la ville de Gaza, sait exactement ce qui est arrivé à Mohammad, un jeune homme de 24 ans atteint de trisomie 21 et d’autisme.
Lorsqu’Israël réinvestit Shuja’iya le 27 juin, la famille insiste pour rester dans sa maison malgré l’intensité des bombardements. « Nous étions épuisé·es d’avoir déménagé plus de 15 fois », explique Nabila Bahar, la mère de Mohammad, à +972. « À chaque fois, nous avons lutté pour convaincre Mohammad de partir : il pleurait beaucoup et n’arrêtait pas de poser des questions sur son fauteuil roulant et sur la maison. C’est pourquoi j’ai décidé de ne pas partir lors de la dernière invasion, en espérant que l’armée ferait preuve de clémence si elle était informée de son état. »
Lorsque les bombardements s’intensifiént autour de la maison de la famille Bahar, elles et ils ont se cachent dans différentes parties de la maison. « Nous nous réfugiions souvent dans les toilettes, car c’était l’endroit le plus sûr lorsque les tirs étaient intenses », explique Nabila. « Mohammad n’a pas quitté son fauteuil roulant, même lorsque nous nous cachions.
Après un siège de sept jours, l’armée prend d’assaut la maison des Bahar. « Ils criaient, pointaient leurs fusils sur nous et leurs chiens aboyaient au visage », raconte Nabila. « Ils nous ont ordonné de nous rassembler dans une pièce et, alors que nous nous déplacions, ils nous ont frappés avec la crosse de leurs fusils. C’était une situation très difficile. »
Mohammad refuse toujours de quitter son fauteuil roulant. « Il ne comprenait pas les ordres des soldat·es », raconte Nabila. Il est terrifié et ne cesse de répéter « J’ai peur ». Soudain, les soldat·es lâchent l’un des chiens sur Mohammad. « Arrête, mon chéri », supplie-t-il le chien, alors que celui-ci referme sa mâchoire sur lui. Mais, selon Nabila, « le chien n’a eu aucune pitié et a laissé de graves blessures sur le bras et l’épaule de Mohammad ».
Les soldat·es n’ont laissé personne venir en aide à Mohammad, le forçant à se réfugier dans une pièce séparée. Selon Nabila, ils lui promettent qu’il sera en sécurité et qu’un médecin viendra soigner ses blessures. Puis le reste de la famille reçoit l’ordre de partir sous la menace des armes, laissant Mohammad avec les soldats.
Une semaine s’est écoulée — ce qui a semblé sept ans à Nabila, qui ne pouvait ni dormir ni manger. « J’étais complètement responsable de Mohammad : il ne savait pas comment manger, boire ou changer de vêtements », déclare-t-elle. « Toute la semaine, j’ai pleuré et je me suis demandé ce qui était arrivé à mon fils. Ses frères et sœurs partaient chaque jour vers le point le plus éloigné qu’ils pouvaient atteindre avant la zone assiégée, dans l’espoir de pouvoir revenir à notre maison. »
Finalement, en apprenant le retrait que l’armée, la famille se précipite à la maison. « Mon fils aîné, Jibril, a trouvé le corps de Mohammad sur le sol, dans la pièce où les soldats l’avaient traîné, entouré de sang », raconte Nabila. « Ils avaient utilisé un morceau de tissu pour panser ses graves blessures, mais ils n’ont pas essayé de soigner correctement les morsures. Ils l’ont laissé se vider de son sang, seul dans la maison ».
Dans une déclaration à +972 concernant l’incident, un porte-parole de l’armée israélienne n’a pas nié cette version des faits, mais a affirmé que « dans l’un des bâtiments, le chien a détecté des terroristes et a mordu un individu ».
Selon la déclaration du porte-parole, les troupes présentes sur les lieux, qui avaient fourni un « traitement médical initial » à Mohammad, ont ensuite essuyé des tirs du Hamas et ont abandonné la maison afin de soigner les soldat·es blessé·es. « À ce moment-là, l’individu est probablement resté seul dans le bâtiment.
Selon Maha Hussaini, directrice de la stratégie à Euro-Med Human Rights Monitor, « l’armée israélienne a systématiquement utilisé des chiens pour agresser, attaquer et maltraiter les civil·es palestinien·nes », en particulier dans des zones telles que Shuja’iya, où l’armée a ordonné aux habitant·es de fuir. « Les chiens ont été utilisés pour fouiller ces zones et attaquer les résident·es, comme une forme de punition et de vengeance pour ne pas avoir respecté les ordres. »
Ce qui dérange le plus Hussaini, c’est que l’armée a délibérément lâché des chiens d’attaque contre les groupes de Palestinien·nes les plus vulnérables. « Nous avons documenté des cas de femmes et de personnes handicapées qui ont subi de multiples attaques [de chiens] à l’intérieur de leurs maisons », déclare-t-elle à +972. « Des témoins oculaires et des victimes ont rapporté que les soldat·es israélien·nes sont resté·es les bras croisés pendant les attaques et, dans certains cas, ont même ri et se sont moqués [des Palestinien·nes]. »
Pour Nabila, il ne reste plus que le souvenir horrifiant de l’attaque et l’image de son fils mort. « Je n’oublierai jamais cette scène. J’ai vu le chien attaquer Mohammad, lui déchirer le bras et l’épaule. Nous n’avons pas pu le sauver, ni des soldat·es, ni du chien. »
Mon handicap m’a empêchée de sortir des décombres
Nour Ershy Jouda est née avec une déformation de la jambe, sa mère ayant inhalé des gaz lacrymogènes tirés par l’armée israélienne alors qu’elle était enceinte pendant la seconde Intifada, ce qui l’a confinée à un fauteuil roulant. Malgré cette infirmité, Nour s’est frayé un chemin et, grâce à ses vidéos sur Facebook et TikTok, elle travaille à déstigmatiser le handicap auprès de ses centaines de milliers d’abonné·es.
Tout cela a été menacé le 22 octobre de l’année dernière, lorsque la maison de son oncle dans la ville de Deir al-Balah, au centre de Gaza, adjacente à sa propre maison, a été la cible d’un missile israélien. La maison de Nour a été endommagée et plus de 45 membres de sa famille ont été tués.
« J’étais dans ma chambre, qui donne sur la maison de mon oncle, et je me préparais à passer en direct sur TikTok », raconte Nour. « J’avais l’intention de parler de ce qui se passait dans la bande de Gaza, des massacres, de la situation actuelle et de bien d’autres choses encore. C’est alors que l’explosion a eu lieu et que des tas de décombres se sont abattus sur moi ».
Nour est restée sous les décombres pendant trois heures, jusqu’à ce que les agent·es de la défense civile et sa famille parviennent à la sauver. Elle se souvient qu’alors qu’elle était prise au piège, « j’ai ressenti une douleur à l’épaule et aux jambes. Je criais et soudain, j’ai sombré dans la somnolence. Mon handicap m’empêchait de sortir toute seule, alors que je me déplace habituellement avec aisance et que je peux accomplir toutes les tâches ménagères. À ce moment-là, j’étais faible. »
Nour s’en est sortie vivante, mais de nombreuses personnes handicapées de Gaza qui ont subi des attaques similaires — en particulier celles qui souffrent d’un handicap mental — n’ont pas eu cette chance. Mahmoud Basal, porte-parole de la défense civile à Gaza, déclare à +972 que « les cas les plus difficiles que nous rencontrons lors des opérations de sauvetage sont lorsque les gens ne sont pas conscients de ce qui se passe autour d’eux. Nous essayons de communiquer avec eux, mais ils ne comprennent pas toujours ce que nous disons ».
Il affirme que de nombreux Gazaoui·es souffrant de troubles cognitifs sont mort·es lors d’opérations de sauvetage simplement parce qu’« ils ou elles ne savent pas comment agir lors d’un bombardement, ou comment suivre les instructions de la Défense civile ». De même, d’autres ont perdu la vie parce qu’ils ou elles étaient incapables de se déplacer ou de se dégager des décombres en raison d’un handicap physique ou d’une paralysie ».
Lors de l’attaque de la maison de son oncle, Nour a subi des fractures aux jambes et à l’épaule droite, ce qui lui a donné, pour la première fois, un véritable sentiment d’impuissance. Elle a perdu sa tante et son oncle, qui étaient parmi les personnes qui la soutenaient le plus dans sa vie. Sa chambre, spécialement équipée pour s’adapter à sa condition physique et où elle filmait ses vidéos, a disparu, de même que son fauteuil roulant et la cuisine où elle avait découvert sa passion pour la cuisine et la pâtisserie — la passion même qui est à l’origine de sa célébrité.
Aujourd’hui, Nour vit dans la maison de sa sœur, qui n’est pas équipée pour elle, et tente de s’adapter et de reprendre la création de vidéos. Mais elle ne pense qu’à une chose : comment fuir si elles étaient à nouveau prises pour cible, ou qu’on leur ordonnerait d’évacuer la maison.
« Tous les soirs, je prépare des plans [au cas où nous devrions] nous échapper », dit-elle. « Mais est-ce qu’ils fonctionneront ? Je ne sais pas, tout dépend de la nature de l’attaque. Je sais que ma famille ne me laissera pas derrière, mais j’y pense encore beaucoup. »
Nous n’entendons pas les bombardements, nous les sentons
Lorsque les forces israéliennes bombardent des zones résidentielles à Gaza, elles prétendent souvent avertir les civil·es à l’avance, conformément au droit humanitaire international. Cependant ces avertissements, s’ils sont même donnés, laissent souvent peu de temps aux Palestinien·nes pour fuir, en particulier à celles ou ceux qui souffrent de handicaps mentaux ou physiques. « Qu’il s’agisse d’appels téléphoniques, de tracts largués d’un avion ou même d’un drone, ces messages ne parviennent pas aux personnes handicapées, à moins qu’elles ne soient aidées par quelqu’un·e », a déclaré M. Al-Ghora.
Ce mépris pour les Palestinien·nes handicapé·es s’étend aux ordres d’évacuation de l’armée israélienne. « Le handicap a empêché de nombreuses personnes de se rendre dans la partie sud de la bande de Gaza », a indiqué M. Al-Ghora. « Les personnes ayant des besoins particuliers ne peuvent souvent pas se déplacer sans assistance ni équipement spécialisé, en particulier dans un contexte de guerre, avec des infrastructures détruites, des routes défoncées sur de longues distances — des défis qui sont difficiles à relever même pour les personnes non handicapées. »
Shadi Barakat, un habitant de la ville de Gaza âgé de 28 ans déplacé à Al-Mawasi, souffre d’une déficience auditive. « Dans les moments critiques, [les Gazaoui·es sourd·es] se retrouvent piégé·es, incapables de comprendre ce qui se passe dans la zone, ce qui nous met sous pression psychologique », explique-t-il à +972, en utilisant la langue des signes.
« Nous regardons constamment ce qui se passe, mais nous n’entendons pas la source des bombardements ; nous la sentons seulement », a-t-il poursuivi. « Par conséquent, nous suivons celles et ceux qui nous entourent, fuyant quand ils fuient, ce qui crée une situation chaotique difficile à comprendre. Cela accroît nos souffrances et renforce notre sentiment d’isolement et de peur ».
Cette dure réalité contraste fortement avec la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui appelle à prendre « toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection et la sécurité des personnes handicapées dans les situations de risque, y compris les situations de conflit armé ».
En effet, non seulement Israël n’a pas protégé les plus vulnérables des civil·es palestinien·nes, mais il a également détruit de nombreuses installations qui fournissaient des services de rééducation et des services médicaux essentiels. Selon le Centre Al Mezan pour les droits de l’homme de Gaza, il s’agit notamment de l’hôpital Sheikh Hamad pour la rééducation et les prothèses, de l’hôpital El Wafa pour la rééducation médicale et la chirurgie spécialisée, du centre d’appareils d’assistance de la Société de secours médical, du siège de l’Union générale palestinienne des personnes handicapées et de la Cité de l’espoir pour le renforcement des capacités, gérée par la Société du Croissant-Rouge.
Comme l’a souligné M. Al-Ghora, la destruction des infrastructures de soins de santé empêche les personnes souffrant de maladies préexistantes d’accéder aux traitements, mais elle a également entraîné l’apparition d’une toute nouvelle population de Palestinien·es handicapé·es dans la bande de Gaza. « On estime que plus de 10 000 personnes parmi les blessé·es ont subi de nouveaux handicaps », déclare-t-il à +972. « La plupart d’entre elles n’auraient pas eu de handicap permanent si un système de santé fonctionnel avait été disponible pour traiter leurs blessures. »
Un sourire d’espoir
Faute de traitement approprié, la plupart des handicapé·es de Gaza — comme tou·tes les habitant·es de la bande de Gaza — tentent de survivre dans des abris ou des camps de tentes surpeuplés, privé·es des éléments les plus élémentaires d’une vie digne. Mais en juillet 2024, plusieurs Palestinien·nes ont pris l’initiative de créer Basmat Amal (« Sourire d’espoir »), un camp spécial à Deir al-Balah qui accueille des personnes souffrant de diverses formes de handicap physique et leur fournit des services essentiels adaptés à leurs besoins.
« Le camp accueille des personnes souffrant de toutes sortes de handicaps », explique Hamza Al-Falit, l’un des organisateurs, à +972. « L’idée est venue de plusieurs personnes et est supervisée par trois organisations locales : l’Association palestinienne de développement agricole, la Société du Croissant-Rouge palestinien et la Société Atfaluna pour les enfants sourd·es.
« Le camp s’efforce de fournir les produits de première nécessité aux personnes handicapées déplacées et de prendre des mesures pour assurer leur confort, alors que la plupart des hôpitaux, des cliniques et des centres médicaux ont été détruits », poursuit Al-Falit. « Si les déplacements répétés sont source d’épuisement pour tous les Palestinien·nes, ils sont particulièrement difficiles pour les personnes handicapées en raison de leur mobilité limitée, en plus de l’impact psychologique catastrophique de leur relocalisation forcée permanente.
Jusqu’à présent, une centaine de familles palestiniennes ont trouvé refuge à Basmat Amal, vivant dans des tentes sur un petit terrain d’environ sept dunams (7000 m2, ndlt). Des enseignant·es handicapé·es animent des programmes éducatifs et apportent un soutien psychologique aux enfants qui y séjournent.
Samia Abu Namous, une mère de 54 ans originaire de Khuza’a, à l’est de Khan Younis, séjourne actuellement dans le camp avec ses trois fils, qui souffrent tous de handicaps physiques et auditifs : Abdullah, 23 ans, Nader, 21 ans, et Usama, 18 ans. Leurs besoins sont pris en charge et ils apprennent tous les trois la menuiserie.
Après avoir été déplacée à plusieurs reprises et avoir cherché refuge dans différents camps, Samia a été soulagée de trouver enfin un endroit approprié où ses fils pourraient être pris en charge. « Chaque camp était difficile, et même les écoles n’étaient pas adaptées aux personnes handicapées et ne fournissaient pas de services tenant compte de leurs conditions », explique-t-elle.
« Basmat Amal nous a fourni une tente, des matelas et des couvertures, et a réparé le matériel d’assistance qui avait été endommagé lors de notre déplacement », poursuit Samia. « Ils et elles nous fournissent de la nourriture, de l’eau potable, des médicaments et des soins physiques et psychologiques, et il y a des toilettes adaptées aux handicaps de mon fils. Mais ce n’est toujours pas comme à la maison. »
Il a disparu et nous n’avons aucun indice
En effet, face à la brutalité de la guerre génocidaire d’Israël, des initiatives telles que Basmat Amal peuvent temporairement atténuer les souffrances et l’inconfort des Palestinien·nes handicapé·es. Mais pour beaucoup d’entre elles et eux, en particulier les personnes qui ont été déplacées à plusieurs reprises dans la bande de Gaza, rien ne peut remplacer le confort et la sécurité de la vie dans sa propre maison.
Avant le 7 octobre, Maher Kaheel, 62 ans, vivait avec sa sœur Maysoun, à côté de ses frères et de leurs familles dans la ville de Gaza. Il souffrait de divers problèmes de santé et de problèmes psychologiques qui nécessitaient un suivi régulier et la prise de médicaments, mais il trouvait du plaisir à s’occuper de son chat et de son jardin.
Au début de la guerre, Maher a été contraint de fuir le nord de Gaza avec ses frères, pour se réfugier avec leur sœur, Maha, à Rafah. « Mes frères ont été déplacés avec leurs femmes et leurs enfants vers ma maison à Tel al-Sultan, à l’ouest de la ville, et ils ont emmené Maher avec eux », déclare Maha à +972. « Ils sont responsables de lui ainsi que de ma sœur Maysoun, qui avait déjà quitté Gaza pour poursuivre son travail de journaliste depuis l’Égypte. »
A Rafah, Maher ne quitte pas la maison. Tout le monde veille à ce que la porte soit fermée à clé, car il exprime à plusieurs reprises son désir de retourner chez lui, dans la ville de Gaza. « Les portes nous ont permis de garder mon frère en sécurité, et la vie était plus facile dans ma maison de Rafah, où l’eau et l’électricité étaient disponibles », explique Maha.
Mais lorsqu’Israël envahit Rafah en mai, la famille doit fuir la maison de Maha avant que les chars israéliens ne puissent l’atteindre, et s’installe chez un parent dans la zone d’Al-Mawasi, à l’ouest de Khan Younis. En raison du manque d’espace, explique Maha, « une tente a été installée pour que mes frères et leurs fils puissent y dormir, y compris Maher. Ils se sont répartis la responsabilité de s’occuper de lui, tandis que je me suis occupée de sa nourriture et de ses médicaments, puisque je suis médecin ».
Le 4 mars, Maha se leve tôt pour préparer le petit-déjeuner et les médicaments de Maher. Mais il n’est pas dans la tente. « Je suis devenue comme folle, courant autour de la tente, de ses alentours et dans toutes les directions, l’appelant, avec la nourriture dans une main et des médicaments dans l’autre. Il a disparu et nous n’avons pas pu le retrouver ».
Le cœur de Maha est serré d’angoisse et toute sa famille pleure sa disparition. « Il est comme un enfant : il voulait retourner dans notre maison et notre quartier à Gaza. Il m’a demandé à plusieurs reprises de le ramener ». Maha le réconfortait en lui promettant que « le moment de rentrer à la maison était proche, une fois les bombardements terminés ».
La famille de Maher n’a pas ménagé ses efforts pour le retrouver : elle l’a cherché dans tous les hôpitaux et postes de police, s’est renseignée auprès du Croissant-Rouge et a tenté par tous les moyens d’informer la communauté à son sujet. « Toute la journée, nous cherchons parmi les vivant·es et les mort·es, nous demandons dans chaque quartier et dans chaque maison encore debout », explique Maha. « Mais jusqu’à présent, nous n’avons trouvé aucun indice sur l’endroit où il se trouve. »
La situation est particulièrement difficile pour la sœur de Maha, Maysoun, restée en Égypte et qui pleure la perte d’un frère qui partageait sa maison. « Le cœur de ma sœur souffre pour mon frère », explique Maha. « Elle l’appelle cent fois par jour pour lui demander des nouvelles. »
Maha ajoute que ce serait plus facile pour elles de savoir leur frère tué, plutôt que de continuer à vivre dans l’incertitude. « J’espère simplement que cette guerre prendra fin, que nous retrouverons mon frère et que ce cauchemar que nous vivons sera terminé. »
Ibtisam Mahdi est une journaliste indépendante de Gaza, spécialisée dans les reportages sur les questions sociales, en particulier celles qui concernent les femmes et les enfants. Elle collabore également avec des organisations féministes de Gaza dans le domaine du reportage et de la communication.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972