Le mandat d’arrêt de Netanyahou et la CPI : À quoi peut-on s’attendre ?

Alors qu’Israël mène une guerre contre Gaza, pourquoi la Cour pénale internationale tarde-t-elle à se prononcer ?

Par Sondos Asem, le 21 octobre 2024

Karim Khan annonçant sa demande de mandats d’arrêt de La Haye le 20 mai 2024 (CPI)

Cela fait cinq mois que le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a demandé un mandat d’arrêt à l’encontre de dirigeants d’Israël et du Hamas pour des allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pendant la guerre d’Israël contre Gaza et l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre le sud d’Israël.

Le 20 mai 2024, Khan a annoncé que son bureau avait déposé une demande de mandat d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et du ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que des dirigeants du Hamas Yahya Sinwar, Ismail Haniyeh et Mohammed Deif.
Après l’assassinat des trois dirigeants du Hamas au cours de l’année écoulée, seuls Netanyahou et Gallant font désormais l’objet de ces mandats.

Haniyeh, le chef de la branche politique du Hamas, a été assassiné en Iran le 31 juillet, et Israël a déclaré en août avoir tué Deif, ce que le Hamas a démenti. Le procureur a donc retiré le mandat d’arrêt contre Haniyeh. Sinwar, le successeur de Haniyeh, a été tué à Gaza, comme l’a annoncé l’armée israélienne jeudi et comme l’a confirmé le Hamas.

La demande de M. Khan constitue un précédent important pour la CPI, car c’est la première fois, en 22 ans d’existence de la Cour, que le procureur demande l’arrestation de hauts fonctionnaires alliés à l’Occident.

L’échec de la Cour à délivrer ces mandats a suscité de nombreuses critiques, les spécialistes du droit international et les professionnels avertissant que la raison d’être de celle-ci, soit de veiller à ce que les auteurs des crimes les plus graves répondent de leurs actes, est en jeu.

En outre, comme le souligne le préambule du statut de Rome qui a fondé la CPI, l’objectif de la Cour n’est pas seulement d’amener les suspect-es à répondre de leurs actes, mais aussi de prévenir et de décourager ces crimes.

Pourquoi la Cour est-elle critiquée ?

Depuis la création de la Cour en 2002, les juges de la CPI ont délivré 55 mandats d’arrêt dans 32 affaires. Vingt-et-une personnes ont été détenues au centre de détention de la CPI à La Haye et ont comparu devant la Cour, tandis que 26 personnes sont toujours en liberté.

En moyenne, il a fallu deux mois à la chambre préliminaire pour délivrer un mandat d’arrêt à la suite d’une requête du procureur.

Les universitaires et les avocat-es représentant les victimes qui ont parlé à Middle East Eye ont dénoncé ce délai comme étant injustifiable, étant donné la gravité de la situation à Gaza, les groupes d’aide mettant en garde contre la menace d’une famine imminente dans l’enclave et l’extermination de 400 000 civil-es assiégé-es dans le nord du pays.

Israël est également accusé de génocide devant la Cour internationale de justice, dans une affaire introduite par l’Afrique du Sud en décembre. La requête allègue qu’Israël a commis des actes visant à détruire, en tout ou en partie, les Palestiniens, qui sont définis comme un groupe national, racial et ethnique. Elle affirme également qu’Israël n’a pas empêché ou puni ces actes, en violation de la convention sur le génocide de 1948.

 » Toutes les victimes palestiniennes s’attendaient à ce que la Cour agisse aussi rapidement que possible lorsque le génocide a commencé en octobre dernier, car c’est ce qu’elle a fait d’autres contextes, et plus récemment en Ukraine « , a déclaré Triestino Mariniello, membre de l’équipe juridique représentant les victimes palestiniennes devant la CPI.

Les juges ont délivré un mandat d’arrêt à l’encontre du président russe Vladimir Poutine dans les trois semaines qui ont suivi la demande du procureur dans le contexte ukrainien.

 » Le contraste avec la rapidité de la délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Poutine est très, très frappant « , a déclaré Giulia Pinzauti, professeur de droit international à l’université de Leiden.

« C’est particulièrement inquiétant pour les victimes. Une justice retardée est une justice refusée », a-t-elle ajouté.

Depuis la demande de M. Khan en mai, plus de 7 000 autres Palestinien-nes ont été tué-es lors d’attaques israéliennes, ce qui porte le bilan à plus de 42 600 morts, pour la plupart des femmes et des enfants. Israël a également étendu sa guerre féroce au territoire libanais, tuant plus de 2 376 personnes entre le 8 octobre de l’année dernière et le 16 octobre 2024.

 » Ce retard, par rapport au mandat émis contre M. Poutine, semble confirmer les critiques selon lesquelles la CPI est soumise aux pressions occidentales et n’est donc pas une institution objective, mais plutôt un instrument politique des pays occidentaux « , a déclaré Richard Falk, professeur émérite à l’université de Princeton et ancien rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme en Palestine occupée.

À quoi est dû le retard dans la délivrance des mandats d’arrêt ?

Beaucoup attribuent le retard dans la délivrance des mandats à l’ouverture par la chambre préliminaire de la possibilité de déposer des notes d’amicus curiae (en latin : amis de la cour), qui sont des soumissions écrites à la cour fournissant des arguments juridiques et des recommandations sur une affaire.

Cela a commencé le 10 juin, lorsque le gouvernement britannique a déposé la demande auprès de la chambre préliminaire de fournir une soumission écrite contestant la compétence de la Cour sur les ressortissant-es israélien-nes dans des circonstances où la Palestine n’a pas de compétence sur les ressortissant-es israélien-nes.

Israël n’est pas membre de la CPI, mais l’État de Palestine en est devenu membre en 2015.

La CPI est compétente pour poursuivre les ressortissant-es des 124 États membres qui ont signé le Statut de Rome, ainsi que les personnes qui commettent des crimes sur ces territoires.

La Cour peut donc enquêter sur des Israélien-nes pour des crimes commis dans les territoires palestiniens occupés, qui comprennent Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

Lorsque la Chambre a accepté la requête avec une date limite de soumission fixée au 12 juillet, le Royaume-Uni a demandé une prolongation jusqu’au 26 juillet, avant d’abandonner la requête sous le nouveau gouvernement travailliste.

La demande du Royaume-Uni a toutefois été suivie de plus de 70 autres demandes adressées à la Cour, notamment par Israël et ses alliés, ainsi que par des avocat-es agissant au nom de victimes palestiniennes.

Il est rare que des requêtes soient déposées à ce stade de la procédure, selon Mme Pinzauti, qui a cosigné une requête adressée à la chambre préliminaire afin de réfuter les arguments relatifs à l’incompétence de la Cour dans cette affaire.

 » Lorsqu’ils ont lancé cet appel à requêtes, nous étions vraiment partagé-es à ce sujet « , a-t-elle déclaré à MEE. Mme Pinzauti a expliqué que le retard était inévitable parce que le dépôt de requêtes est un processus en deux étapes, au cours duquel le procureur doit répondre aux arguments.

Mais ce processus est arrivé à son terme, a déclaré Mme Pinzauti. La raison pour laquelle les juges n’ont pas encore pris de décision sur l’émission des mandats n’est pas claire.

Comment Israël et ses alliés ont-ils réagi à la demande de mandat ?

Avant la demande du procureur et au cours des cinq mois qui ont suivi, Israël et son principal allié, les États-Unis, ont rejeté les mandats et contesté la compétence de la Cour.

Le 20 mai, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré que son administration rejetait l’« équivalence » entre le Hamas et Israël dans cette affaire, et que le tribunal n’était pas compétent, citant « la précipitation avec laquelle le procureur a demandé ces mandats d’arrêt au lieu de donner au système juridique israélien la possibilité d’agir pleinement et en temps voulu ».

Le gouvernement israélien a présenté des arguments similaires. Netanyahou a déclaré :  » Je rejette avec dégoût la comparaison faite par le procureur de La Haye entre l’Israël démocratique et les assassins de masse du Hamas. « 

En septembre 2024, Israël a soumis deux dossiers juridiques à la CPI, contestant la légalité des demandes de mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant, ainsi que la compétence de la cour.
Il a principalement réitéré le point de vue établi de longue date par le gouvernement israélien, selon lequel la Palestine n’est pas un État, et que la Cour n’a pas respecté le principe de complémentarité énoncé à l’article 17 du Statut de Rome.

Cet article stipule que les tribunaux nationaux ont la responsabilité première d’enquêter et de poursuivre les crimes internationaux, ce qui signifie que la CPI ne peut exercer sa compétence que lorsque les tribunaux nationaux ne veulent pas ou ne peuvent pas engager de poursuites.

Entre-temps, des enquêtes publiées par The Guardian et +972 Magazine le 28 mai ont révélé que la CPI faisait l’objet d’une campagne d’espionnage et de menaces depuis neuf ans de la part des services de renseignement israéliens. Cette campagne a notamment consisté à pirater les téléphones de M. Khan et de son prédécesseur Fatou Bensouda, et à menacer cette dernière d’abandonner ses enquêtes sur les crimes de guerre commis en Palestine, lancées en 2021.

En outre, Zeteo a révélé que des sénateur-ices républicain-es américain-es avaient menacé de prendre des sanctions contre M. Khan si des mandats d’arrêt étaient délivrés, y compris des conséquences pour le personnel de la Cour et leurs familles.

Pourquoi les juges doivent-ils confirmer le mandat d’arrêt ?

Conformément à l’article 58 du Statut de Rome, le traité qui a institué la CPI, la chambre préliminaire de la Cour est chargée d’examiner les éléments de preuves apportés par le procureur et de veiller au respect d’un certain nombre d’exigences procédurales.

Celles-ci incluent la présence de motifs raisonnables pour les crimes allégués, et le fait que l’arrestation est nécessaire pour « assurer la comparution de la personne au procès », « veiller à ce que la personne n’entrave ni ne compromette l’enquête ou la procédure judiciaire », ou pour « empêcher la personne de poursuivre la commission de ce crime ou d’un crime connexe relevant de la compétence de la Cour et résultant des mêmes circonstances ».

Combien de temps faut-il à la Cour pour délivrer un mandat ?

La CPI ne prévoit pas de délai spécifique pour la délivrance des mandats. Le délai est laissé à l’appréciation des juges.

Dans des affaires antérieures, la délivrance d’un mandat a pris entre plusieurs semaines et près d’un an. Selon la journaliste Molly Quell, basée à La Haye, il a fallu en moyenne deux mois à la chambre pour prendre une décision sur quelque 61 demandes de mandats d’arrêt présentées par le procureur.

Dans cette affaire, des comparaisons ont été faites avec les mandats d’arrêt délivrés à d’autres chefs d’État.

Par exemple, le 22 février 2023, M. Khan a présenté des demandes de mandats d’arrêt à l’encontre du président russe Vladimir Poutine et de sa commissaire aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, dans le contexte de la situation en Ukraine. Les mandats ont été confirmés 23 jours plus tard, le 17 mars, Khan ayant déclaré que les juges étaient convaincus qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les deux suspect-es étaient responsables du crime de guerre de la déportation et du transfert d’enfants ukrainien-nes des zones occupées de l’Ukraine vers la Fédération de Russie.

La chambre préliminaire a également délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de généraux militaires russes environ un mois après la demande de Khan, le 2 février 2024.

La CPI a également délivré rapidement un mandat d’arrêt à l’encontre de l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Koudou Gbagbo, le 23 novembre 2011, 30 jours après la demande du procureur.

Au Soudan, en revanche, les délais ont été plus longs. Par exemple, il a fallu 233 jours à la chambre préliminaire pour confirmer un mandat d’arrêt à l’encontre du président soudanais de l’époque, Omar al-Bashir, le 4 mars 2009.

Selon Luigi Daniele, juriste international et professeur d’université, la situation en Palestine impose l’urgence.

« Compte tenu de la gravité des crimes qui ont été commis depuis le 7 octobre, et même avant cela depuis l’ouverture de l’enquête de la CPI en 2021, la demande du procureur en mai était déjà tardive », a-t-il déclaré à MEE.

 » Sans obligation de rendre des comptes, les auteurs présumés sont renforcés dans leur perception d’être au-dessus de la loi et sont encouragés à commettre davantage de crimes atroces. « 

Et si les mandats d’arrêt sont confirmés ?

Il est très peu probable que la chambre refuse la demande. Dans la grande majorité des cas, les demandes de mandats ont été acceptées.

Si les mandats d’arrêt sont confirmés par la chambre, les 124 États membres du statut de Rome seront tenus d’arrêter les dirigeants israéliens et de les remettre au tribunal de La Haye. Un procès ne peut s’ouvrir par contumace, comme le stipule l’article 63 du statut.

Mais la Cour n’a pas de pouvoirs exécutifs. Elle s’appuie sur la coopération des États membres pour l’arrestation et la remise des accusé-es.

Parmi les signataires du statut figurent le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Espagne et, au Moyen-Orient, la Jordanie, la Tunisie et la Palestine.

Toutefois, certains pays, notamment les États-Unis, la Chine, l’Inde et la Russie, ne sont pas signataires. La plupart des pays de la région MENA, y compris la Turquie et l’Arabie saoudite, ne sont pas signataires.

Netanyahou, qui, avec Gallant, est actuellement basé en Israël, s’est rendu à New York en septembre pour prononcer un discours à l’AGNU.

Il est probable que Netanyahou et Gallant limiteront leurs déplacements, comme l’a fait Poutine à la suite du mandat d’arrêt de la CPI à son encontre.

Un futur gouvernement israélien pourrait également choisir de les remettre à La Haye.

En outre, les États qui ne sont pas membres du statut de Rome peuvent choisir de remettre les prévenu-es à La Haye, de leur interdire l’accès à leur territoire ou de les poursuivre dans le cadre de leurs juridictions nationales.

« Il sera très difficile pour les États tiers d’ignorer l’existence de mandats d’arrêt », a déclaré Daniele.

 » Les mandats pourraient également constituer un levier pour la société civile israélienne et les groupes d’opposition qui demandent des comptes sur les crimes commis à Gaza. « 

Mais que les mandats d’arrêt soient ou non appliqués à l’avenir, leur émission aura un poids juridique et politique important, selon M. Falk.

 » Le fait qu’Israël et les États-Unis aient réagi si fortement pour discréditer la simple recommandation suggère bel et bien son importance dans le maintien de la légitimité dans les relations internationales « , a-t-il déclaré à MEE.

 » Le droit international, s’il est appliqué avec autorité, joue un rôle important de légitimation dans la formation de l’opinion publique et dans la détermination de l’issue des conflits internationaux les plus médiatisés, même lorsqu’il est défié. « 

Sondos Asem est journaliste et rédactrice en chef de Middle East Eye à Londres. Elle est spécialiste du droit international, des droits de l’homme et des politiques publiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye

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