Corridor de Netzarim : L’« axe de la mort » israélien pour les Palestiniens

Les Palestiniens déplacés qui tentent de retourner dans le nord de la bande de Gaza risquent la mort arbitraire ou la disparition forcée au poste de contrôle militaire occupé par Israël.

Par Ruwaida Amer, le 24 décembre 2024

Une femme palestinienne déplacée se tient devant sa tente endommagée par le vent et la pluie, à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 25 novembre 2024 (Majdi Fathi/NurPhoto via Reuters).

Au début de l’année, lorsqu’une rumeur s’est répandue selon laquelle les Palestiniens pouvaient se rendre du sud de la bande de Gaza vers le nord, Sabreen Lashin a été l’une des premières à tenter de rentrer chez elle.

Mais, à sa grande déception, cette mère de famille originaire du camp de réfugiés d’al-Shati, dans la ville de Gaza, a été bloquée par les forces israéliennes qui occupaient le corridor de Netzarim, ou « axe de la mort » comme l’appellent les Palestiniens.

Lassée de la vie misérable de déplacement qu’elle avait endurée dans le sud de Gaza pendant un an et trois mois, elle a refusé d’abandonner.

Avec cinq autres femmes, elle a tenté d’expliquer aux soldats les dures conditions de vie dans le sud de Gaza. Elle y a été déplacée 14 fois, à chaque fois pour se mettre à l’abri des bombardements israéliens, mais en vain.

« Mes enfants ne trouvent pas de travail et je n’ai pas les moyens de me procurer les médicaments dont j’ai besoin », explique cette femme de 44 ans à Middle East Eye.

« Les déplacements constants, la faim, les bombardements et les humiliations dans le sud m’ont finalement poussée à prendre la décision difficile de retourner dans le nord, malgré les risques. »

Au poste de contrôle du corridor de Netzarim, certains soldats israéliens l’ont écoutée, tandis que d’autres sont restés silencieux. Tous ont rejeté ses plaidoyers pour retourner chez elle.

Sans avertissement, dit-elle, les forces israéliennes ont commencé à tirer sur les personnes qui s’étaient approchées du corridor dans l’espoir de rentrer chez elles.

« L’une des femmes, âgée de 35 ans, a reçu deux balles, l’une dans le dos et l’autre sous la poitrine », a expliqué Lashin à MEE.

Elle s’est agrippée au bras de Lashin, la suppliant de ne pas la laisser derrière elle pour que les soldats la trouvent. Lashin n’a pas eu d’autre choix que de traîner la femme vers le sud, tandis que les autres fuyaient, effrayés par le bruit des tirs.

Alors qu’ils se déplaçaient, un char d’assaut a roulé sur la zone, menaçant d’écraser la femme. Un soldat est sorti et a dit à Lashin de laisser la femme derrière elle, mais elle a refusé.  » Elle est toujours en vie « , a-t-elle insisté.

Elle a finalement réussi à traîner la femme sur la route jusqu’à ce qu’elle atteigne un groupe de jeunes hommes, qui ont aidé à transporter la femme blessée à l’hôpital al-Awda de Nuseirat. Malheureusement, elle n’a pas survécu.

C’était l’une des douze tentatives de retour de Lashin dans le nord de la bande de Gaza, et ce ne sera probablement pas la dernière.

« À chaque fois, j’ai échappé de peu à la mort, mais je refuse d’abandonner », dit-elle. « J’espère toujours qu’un jour les soldats auront pitié de moi et me laisseront rentrer. »

Au corridor de Netzarim, ajoute-t-elle, la zone est remplie de jeeps et de chars militaires, tandis que des drones survolent la zone, ciblant toute personne qui s’en approche.

Mais le risque de mourir en tentant de rentrer chez soi est préférable à celui de rester déplacée dans le sud, explique-t-elle à MEE.

« Je rêve toujours de rentrer chez moi », ajoute-t-elle. « Je veux monter une tente sur les décombres de ma maison et vivre avec mes enfants, plutôt que d’endurer l’humiliation d’être déplacée dans le sud. »

« L’axe de la mort »

Lashin fait partie des centaines de milliers de Palestiniens déplacés à l’intérieur du pays qu’Israël empêche de rentrer chez eux depuis le début de la guerre génocidaire d’Israël à Gaza.

Avant d’envahir Gaza fin octobre 2023, l’armée israélienne a forcé plus d’un million de Palestiniens du nord de la bande de Gaza à se diriger vers le sud sous des bombardements intensifs.

L’armée a promis la sécurité dans le sud et a déclaré que la relocalisation serait temporaire.

Cependant, les centaines de milliers de personnes qui ont obtempéré ont été bombardées dans le sud, y compris lorsqu’elles se trouvaient dans des écoles, des tentes de fortune, des hôpitaux et d’autres abris.

Pendant ce temps, les troupes israéliennes ont envahi le « corridor de Netzarim », une bande de terre de 6 km au sud de la ville de Gaza qui divise la bande en deux parties, l’une au nord et l’autre au sud.

Il s’étend de la frontière israélienne avec la ville de Gaza à l’est jusqu’à la mer Méditerranée.

La route de Netzarim mesure désormais 7 km de large et contient des bases militaires. Elle est utilisée par les forces israéliennes pour surveiller et contrôler les mouvements des Palestiniens entre le nord et le sud de la bande de Gaza et pour lancer des opérations militaires.

Mohammed Hajjo, de Sheikh Radwan, dans la ville de Gaza, a d’abord refusé de quitter le nord de la bande de Gaza.

Sa femme et ses enfants sont partis vers le sud au début de la guerre, mais il a choisi de rester et de garder la maison, pensant que leur absence dans le sud serait brève.

Mais alors que la guerre s’éternisait sans qu’aucune fin ne soit en vue et que la faim sévissait dans le sud de la bande de Gaza, il a décidé de traverser le couloir de Netzarim et de se rendre au sud pour aider sa famille.

« J’ai pris beaucoup de vêtements pour mes enfants, car le froid dans les tentes était insupportable. J’ai également apporté des vêtements pour ma femme et beaucoup d’autres choses », a expliqué Hajjo à MEE.

Son voyage a été long et semé d’embûches.

« J’ai marché longtemps le long de la côte, craignant constamment d’être la cible de tireurs embusqués ou d’être arrêté », se souvient ce père de famille de 32 ans.

Lorsqu’il atteint le poste de contrôle de Netzarim, les soldats l’arrêtent.

« Ils m’ont forcé à jeter tout ce que j’avais – vêtements, fournitures – et ont même pris mon téléphone. J’ai vu un grand trou rempli d’objets provenant d’autres familles déplacées, jetés comme s’ils n’avaient aucune importance « , raconte-t-il.

 » Il y avait beaucoup de soldats, de chars, d’appareils photo et de détecteurs partout. Le paysage avait tellement changé, mais je ne me concentrais pas là-dessus. Je ne pensais qu’à sortir de là sain et sauf ».

Les soldats l’ont gardé toute la nuit. « Ils m’ont fait enlever mes vêtements, m’ont tout pris et m’ont posé de nombreuses questions inutiles – pourquoi j’avais fui vers le sud maintenant, et pas plus tôt », a-t-il déclaré.  » Je pensais qu’ils allaient m’arrêter, mais le matin, ils m’ont laissé partir, nu « .

Un jeune homme l’a vu sur la route et l’a aidé à s’habiller, avant qu’il ne rejoigne sa famille à Khan Yunis.
Malgré le soulagement de retrouver sa famille, l’épreuve lui pèse encore.

« J’avais le cœur brisé parce qu’ils m’ont obligé à jeter tout ce dont ma famille avait désespérément besoin. Nous avions déjà subi tant d’humiliations et de dégradations pendant la guerre. Cet endroit, Netzarim, est un axe de la mort, pas seulement un poste de contrôle ».

Disparus sans laisser de traces

Hajjo est l’un des rares chanceux à avoir réussi à atteindre le corridor de Netzarim et à en être sorti vivant.

La semaine dernière, une enquête du Haaretz a révélé que des centaines de Palestiniens, dont des enfants, ont été abattus sans discernement par des soldats israéliens au corridor de Netzarim.

Selon un officier supérieur, le commandant de la division 252 a fait de ce corridor une  » zone de tuerie « , permettant aux soldats de tirer sur  » quiconque y pénètre « .

Les personnes tuées sont qualifiées de  » terroristes  » à titre posthume, même lorsqu’il s’agit d’enfants.

Les limites de la zone sont largement arbitraires et s’étendent  » aussi loin qu’un sniper peut voir « , a déclaré un autre membre de la division à Haaretz.

« Nous y tuons des civils, qui sont ensuite considérés comme des terroristes », a-t-il ajouté.

Un autre soldat a fait référence à un porte-parole militaire annonçant que sa division avait tué plus de 200 « militants » à Gaza.

Mais sur ces 200 victimes, seules 10 ont été confirmées comme étant des agents connus du Hamas.

Si de nombreuses personnes sont tuées, d’autres sont détenues arbitrairement au poste de contrôle et disparaissent de force.

Intisar al-Attar, 58 ans, a perdu l’un de ses fils lors d’un bombardement israélien au début de la guerre, ce qui l’a obligée à fuir la ville de Gaza vers le sud avec le reste de sa famille.

Mais après des mois de déplacement, son autre fils, Sami, a décidé de faire le dangereux voyage vers le nord dans l’espoir de rentrer chez lui.

C’était il y a trois mois, et Mme al-Attar n’a toujours pas eu de nouvelles de lui.

« Je ne sais rien de lui. A-t-il été martyrisé ou arrêté ? Je ne sais pas », a-t-elle déclaré à MEE.

Près de Netzarim, de jeunes hommes se rassemblent dans une zone appelée al-Nuwairi, dans l’attente d’une chance de retourner dans le nord.

Mme Attar dit qu’elle se tient à proximité, espérant que quelqu’un lui apportera le soulagement dont elle a désespérément besoin en ce qui concerne le sort de son fils.

Mais les récentes informations faisant état d’exécutions arbitraires de Palestiniens près du corridor n’ont fait qu’accroître ses craintes.

« Les déclarations des soldats dans les journaux télévisés sont effrayantes. Ils disent qu’ils tirent sur tous ceux qui s’approchent de cette zone « , déclare-t-elle.

« J’espère que la guerre s’arrêtera pour que je puisse aller dans la région de Netzarim et chercher mon fils. S’il est mort, je veux l’enterrer. S’ils l’ont arrêté, je veux être rassurée à son sujet ».

« Mon cœur brûle depuis qu’il m’a quittée », dit-elle les larmes aux yeux.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye

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