L’autorité Palestinienne interdit la diffusion de la chaîne Al Jazeera en Cisjordanie occupée, sur fond d’affrontements à Jénine

La décision de l’autorité Palestinienne, mercredi 1er janvier, d’interdire la diffusion de la chaîne Al Jazeera en Cisjordanie occupée, fait suite à la couverture par le média des affrontements qui ont lieu depuis près d’un mois à Jénine, opposant l’AP à différents groupes, et ayant déjà fait plus d’une dizaine de morts.

Par l’Agence Média Palestine, le 3 janvier 2025

Les tensions dans le camp de réfugié·es de Jénine, si elles s’ancrent dans un contexte plus large et dramatiquement exacerbé par l’escalade de violence qui accompagne la campagne génocidaire d’Israël à Gaza depuis plus de 15 mois, ont débuté le 5 décembre, avec l’arrestation par l’Autorité palestienne (AP) de deux militants des brigades de Jénine, dans le cadre de la répression menée par l’AP contre ceux qu’elle appelle les « hors-la-loi ».

L’opération de l’AP, baptisée « Protection de la patrie », a été présentée comme une mesure nécessaire pour rétablir l’ordre et protéger la population de Jénine de ce qu’elle a décrit comme un « chaos sécuritaire ». La brigade de Jénine a réagi en déclarant que le véritable objectif de l’Autorité palestinienne était de garantir un « Jénine sans résistance », soulignant que leur lutte était uniquement dirigée contre l’occupation israélienne.

L’opération de l’AP et les affrontements qui l’ont accompagnée ont fait au moins 11 mort·es dont 6 civil·es. L’autorité Palestinienne a reconnu sa responsabilité dans au moins un des décès de civil·es. Le 28 décembre, une jeune journaliste palestinienne, Shatha al-Kabbagh, 22 ans, a été abattue d’une balle dans la tête, apparemment par un tireur des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne dans le camp de réfugiés de Jénine.

Les organisations de défense des droits de l’homme ont signalé la détention de plus de 150 Palestiniens, dont des membres de la résistance, des étudiants, des écrivains et des journalistes, beaucoup d’entre eux restent emprisonnés malgré les décisions de justice ordonnant leur libération.

La situation de Jénine est loin d’être un cas isolé. Elle reflète les tensions plus larges et plus anciennes entre l’Autorité palestinienne et les factions de la résistance dans l’ensemble de la Cisjordanie occupée, notamment dans le cadre de la coopération sécuritaire établie  entre l’AP et  Israël et réactivée  depuis 2005.

Les affrontements de ce type sont de plus en plus fréquents, en particulier dans les villes du nord de la Cisjordanie comme Jénine et Tulkarem. Ces affrontements coïncident souvent avec des raids et des incursions des forces israéliennes et la violence des colons. De nombreux critiques de l’Autorité Palestinienne l’accusent de coïncider, au mieux, avec l’agenda israélien de répression des mouvements de contestation de l’occupation.

L’autorité Palestinienne interdit la diffusion de la chaîne Al Jazeera

C’est dans ce contexte que des policiers de l’Autorité palestinienne ont fait une descente mercredi 1er janvier dans les bureaux de la chaine d’information en continu Al Jazeera à Ramallah pour ordonner la suspension de ses activités. Une décision justifiée par des accusations de « désinformation » et « d’incitation à la sédition » dans la couverture par le média des affrontements qui ont lieu à Jénine depuis un mois. C’est en effet suite à la diffusion de plusieurs sujets sur ces combats meurtriers entre Palestinien·nes que la décision de suspendre Al Jazeera a été prise.

«Le comité ministériel compétent, composé des ministères de la Culture, de l’Intérieur et des Communications, a décidé de suspendre la diffusion et de geler toutes les activités de la chaîne Al Jazeera et de son bureau en Palestine, ainsi que de suspendre temporairement le travail de tous les journalistes, employés, équipes et chaînes affiliées jusqu’à ce que son statut juridique soit rectifié», rapporte l’agence de presse palestinienne Wafa.

Cette décision s’aligne sur une campagne d’interdiction du média international Al Jazeera menée par Israël depuis des années et en particulier depuis le début de sa campagne génocidaire à Gaza. Le média est interdit de diffusion en Israël, et ses locaux israéliens ont été fermés de force en mai dernier. De nombreuses organisations de défense de la liberté de la presse et des droits humains avaient protesté contre cette interdiction, Al-Jazeera étant l’un des rares médias internationaux à couvrir la situation à Gaza en direct et en continu. De nombreux·ses journalistes de la chaîne y ont été menacé·es, arrêté·es, blessé·es et parfois assassiné·es.

L’alignement de l’Autorité Palestinienne sur cette interdiction ravive encore des tensions et est considéré par une partie des Palestinien·nes comme une volonté de masquer la réalité.

Le syndicat des journalistes palestinien·nes (PJS) a demandé dans un communiqué au ministère compoétant « d’annuler sa décision de suspendre temporairement les activités d’Al Jazeera en Palestine et de rencontrer le syndicat pour examiner sa position, qui souligne la nécessité de protéger les libertés journalistiques et publiques conformément à la loi. » Le communiqué ajoute qu’Al Jazeera doit se conformer à la loi palestinienne et l’appelle à « ajuster sa politique éditoriale et mette fin à toute pratique susceptible de nuire à l’unité palestinienne, à la paix civile et à l’harmonie sociale. »
https://www.pjs.ps/en/page-3264.html

Dans un communiqué jeudi, Al Jazeera Media Network a déclaré que le fait d’empêcher ses journalistes d’exercer leurs fonctions est « une tentative de cacher la vérité sur les événements dans les territoires occupés, en particulier sur ce qui se passe à Jénine et dans ses camps ». Le média s’est dit « choqué par cette décision, qui intervient alors que la guerre contre la bande de Gaza se poursuit et que les forces d’occupation israéliennes prennent systématiquement pour cible et tuent des journalistes palestiniens ». Elle a déclaré qu’elle tenait l’Autorité palestinienne « pleinement responsable de la sécurité de tous ses employés en Cisjordanie occupée ».

Jeudi 2 janvier, le haut commissaire des droits humains de l’ONU a demandé l’annulation de cette décision, affirmant sur X : «Nous sommes profondément préoccupés» et «nous demandons instamment à l’Autorité palestinienne de faire marche arrière et de respecter ses obligations en matière de droit international».

 

Un couple deuil embrasse le corps de la journaliste palestinienne Shatha Sabbagh, dont la famille affirme qu’elle a été abattue par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne dans le camp de réfugiés de Jénine le 29 décembre 2024 [Raneen Sawafta/Reuters]

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