Par Malak Hijazi, The Electronic Intifada, 15 Janvier 2025

Le soleil se couche sur Gaza le dernier jour de l’année 2024. L’avenir est un point d’interrogation. Omar Ashtawy APA images
Pendant 15 longs mois, la population de Gaza a enduré une guerre génocidaire brutale.
Nous avons perdu des êtres chers, des maisons et tout sentiment de normalité.
Mais alors que les pourparlers sur un éventuel cessez-le-feu se multiplient, l’espoir de le voir entrer en vigueur avant l’investiture du président états-unien élu Donald Trump, la semaine prochaine, s’amenuise.
Nos yeux restent rivés sur nos téléphones, faisant défiler les nouvelles – vraies et fausses – dans l’attente de l’annonce. Nous attendons avec impatience d’entendre le mot « cessez-le-feu » prononcé à haute voix, un fragile sentiment de soulagement après toutes les morts dont nous avons été témoins.
Les annonces de progrès dans les négociations suscitent des célébrations éphémères, des acclamations s’élèvent alors des tentes de fortune, des cours d’école et des maisons partiellement détruites, dans lesquelles 1,9 million de personnes – 90 % de la population de Gaza – ont été forcées de s’abriter.
Pourtant, lorsque nous réfléchissons plus profondément à la situation, notre joie ténue se transforme en désillusion.
Si un cessez-le-feu peut faire taire les bombes, il soulève une question bien plus lourde : Que se passera-t-il ensuite ?
Un cessez-le-feu peut mettre fin à la destruction immédiate, mais il ne rendra pas Gaza de nouveau vivable. Les quartiers bombardés ne se reconstruiront pas d’eux-mêmes.
Les gens ont besoin de maisons, d’écoles, de cliniques, d’eau potable et d’électricité pour commencer à reconstruire leur vie. En outre, nous avons besoin d’un gouvernement qui donne la priorité à sa population, un gouvernement capable d’unir Gaza autour d’une vision commune de progrès et de dignité.
Sans cela, même les efforts de reconstruction les mieux intentionnés échoueront.
Une vie vivable ?
Pour celles et ceux d’entre nous qui restent à peine en vie, l’avenir ressemble à un point d’interrogation.
Je vis dans une peur constante, hantée par l’incertitude de savoir si Gaza guérira un jour. Honnêtement, je n’attends pas grand-chose : j’aspire à retrouver la Gaza d’avant le génocide, avec toutes ses imperfections et ses luttes quotidiennes.
Mais même cela me semble trop demander. Comment reconstruire une maison quand la force même accusée de l’avoir détruite détient les clés de son rétablissement ? Israël nous permettra-t-il un jour de reconstruire ce qu’il a détruit – ou nous laissera-t-il revendiquer notre liberté ?
Je ne peux m’empêcher de penser à un rapport publié par les Nations unies en 2012, intitulé « Gaza en 2020 : Un endroit vivable ? ».
Ce rapport esquissait un avenir sombre pour Gaza, prévoyant d’immenses défis alors que la population passerait de 1,6 million à 2,1 millions d’habitants d’ici à 2020. Le rapport mettait en garde contre des problèmes critiques : l’approvisionnement en électricité devrait doubler, l’aquifère côtier – notre principale source d’eau douce – risquait de s’effondrer de manière irréversible, et il manquait des dizaines de milliers de logements nécessaires de toute urgence.
En repensant à ce rapport aujourd’hui, on a l’impression qu’il est obsédant et prémonitoire. Pourtant, même ses avertissements sévères n’auraient pas permis d’imaginer les horreurs auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui. Le rapport a été rédigé bien avant la guerre génocidaire de 2023 qui a dévasté Gaza au point de la rendre méconnaissable. Il partait du principe que la bande de Gaza, bien que mise à rude épreuve, continuerait d’exister et de fonctionner. Il ne prévoyait pas une réalité où la survie elle-même serait remise en question.
Avant cette guerre, Gaza a enduré des décennies de difficultés. Pendant 58 ans, nous avons vécu sous occupation militaire, et même après le retrait d’Israël en 2005, nous avons vécu sous occupation militaire à distance, sans pouvoir décider qui ou quoi passait par nos points de passage et sans contrôle sur notre propre espace aérien et maritime.
Le siège de 18 ans qui a suivi a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert, où les produits de première nécessité tels que la nourriture, l’eau et les médicaments font constamment défaut. Les assauts récurrents de l’armée israélienne ont encore érodé le peu de stabilité dont nous disposions.
Et pourtant, la vie a trouvé son chemin. Les écoles ouvraient leurs portes, les marchés bourdonnaient d’activité et les familles s’accrochaient à une vie par fragments ordinaire.
Démantèlement systématique
Aujourd’hui, tout cela a disparu. Plus de 65 % des terres agricoles de Gaza ont été détruites ou endommagées, laissant les familles sans nourriture ni moyens de subsistance. La crise de l’eau est devenue incontrôlable, les infrastructures bombardées empêchent l’accès à l’eau potable pour la majeure partie de la population.
Le système de santé s’est effondré. Les hôpitaux et les cliniques sont en ruine, dans l’incapacité de fournir les soins les plus élémentaires.
L’éducation, autrefois source d’espoir, est en lambeaux. Plus de 625 000 enfants ont perdu une année entière de scolarité et 96 % des écoles sont endommagées ou détruites.
L’économie est anéantie. En janvier 2024, la Banque mondiale estimait déjà le coût des dommages causés aux infrastructures à plus de 18,5 milliards de dollars. La situation va encore s’aggraver.
Les usines, les entreprises et les marchés ont été détruits, et plus de 225 000 maisons ont été démolies. Ce qui reste, ce sont des abris surpeuplés qui n’offrent ni sécurité ni refuge contre de futures destructions.
Parfois, je me pose des questions : Cesserons-nous un jour de compter les morts, les détruits, les déplacés ? Cesserai-je un jour de mesurer la vie en termes de pertes ? Celles et ceux qui vivent dans des structures de tentes en tissu se retrouveront-ils un jour sous de vrais plafonds, entourés de vrais murs ?
Il suffit d’observer la situation d’en haut ou de marcher sur le sol de Gaza pour qu’il devienne presque impossible d’espérer.
Il ne s’agit pas seulement d’une dévastation physique, mais d’un démantèlement systématique de la capacité de Gaza à fonctionner en tant que société. Les habitantes et habitants de Gaza sont privés de leur droit de reconstruire et de rêver à un avenir meilleur.
Les défis à relever à Gaza vont bien au-delà de la reconstruction de ce qui a été détruit. Pour ceux d’entre nous qui vivent ici, la question demeure : Qui dirigera si – ou quand – un cessez-le-feu aura lieu ?
Qui pour diriger ?
En mai 2024, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé que ni le « Hamastan » ni le « Fatahstan » ne gouvernerait Gaza. Il ne reste donc qu’une possibilité effrayante : une occupation israélienne totale.
Depuis 2007, le Hamas dirige Gaza, mais son contrôle s’affaiblit sous l’effet de pressions internes et externes massives. Le blocus de 17 ans qui a débuté en 2007, les guerres répétées – en particulier le génocide en cours – et les attaques militaires constantes ont détruit son infrastructure gouvernementale.
L’assassinat de dirigeants comme Ismail Haniyeh à Téhéran et Yahya Sinwar à Gaza a créé une absence de leadership qui semble impossible à combler. Même avant cette guerre, beaucoup doutaient de la capacité du Hamas à répondre à nos besoins. L’effondrement de l’économie, le taux de chômage élevé et les services défaillants étaient déjà sources de frustration.
Aujourd’hui, avec la poursuite du siège et de la destruction, et si le Hamas reste au pouvoir sans reconnaissance internationale, la survie semble presque impossible. Israël continue de bloquer l’entrée des produits de première nécessité sous les mêmes prétextes, tandis que le monde refuse de fournir de l’aide, qualifiant le Hamas d’« organisation terroriste ».
L’Autorité palestinienne n’est pas une meilleure option. Malgré sa reconnaissance internationale, elle a perdu la confiance des Palestiniennes et Palestiniens en raison d’années de division politique, de corruption, de mauvaise gestion et de dépendance à l’égard de l’aide internationale.
Nombreux sont ceux qui considèrent l’AP comme faible et incapable de représenter nos aspirations à la liberté. Les « opérations de sécurité » de l’AP à Jénine en sont la preuve. Nous n’accepterons jamais un gouvernement qui travaille sous les ordres d’Israël, qui nous empêche d’avoir de la nourriture et de l’eau tout en plaçant ses armes devant nos yeux – comme si l’occupation israélienne ne suffisait pas.
Les projets d’Israël suscitent de profondes craintes pour notre avenir. Une présence militaire permanente et le contrôle de la sécurité de Gaza pourraient déboucher sur des conditions proches de l’apartheid, où nous vivrions sous l’autorité directe d’Israël avec des droits très limités, comme en Cisjordanie, mais en pire.
Plus alarmant encore, le discours sur le transfert « volontaire » semble suggérer le déplacement forcé des Palestiniens de Gaza dans des conditions de vie insupportables.
Mais où irions-nous ? Gaza est notre maison ; la quitter reviendrait à renoncer à une partie de nous-mêmes, de notre identité et de notre avenir.
Qu’adviendra-t-il de notre histoire, de notre culture, de nos récits si nous sommes contraints de partir ? Mes petits-enfants me demanderont-ils un jour pourquoi j’ai abandonné le seul endroit où je me sentais vraiment chez moi ?
Une politique mesquine
Cette guerre semble faire partie d’un plan plus vaste et plus systématique visant à rendre Gaza ingérable pour toute autorité palestinienne. L’isolement de Gaza s’aggrave à mesure que l’expansion des colonies consume la Cisjordanie, rendant de plus en plus impossible la réunification sous une direction unique.
Entre-temps, les accords d’Abraham ont remodelé les alliances régionales, les pays arabes tournant de plus en plus le dos à la cause palestinienne. Ces accords, qui ont normalisé les relations entre Israël et plusieurs nations arabes, ont renforcé le pouvoir d’Israël et marginalisé les voix palestiniennes.
Il est difficile d’accepter que ces nations, qui étaient autrefois solidaires avec nous, semblent aujourd’hui prêtes à fermer les yeux sur la poursuite de l’occupation et de la violence israéliennes en échange d’un gain économique et politique. Comment peuvent-elles normaliser leurs relations avec Israël après toutes les effusions de sang que nous avons endurées ?
En outre, les tentatives de mise en place d’une administration d’après-guerre à Gaza sont paralysées par le conflit interne aux Palestiniens. Le refus du président palestinien Mahmoud Abbas d’accepter une gouvernance partagée risque de retarder les efforts de reconstruction et d’aggraver les dissensions entre les factions palestiniennes.
Parfois, on a l’impression que personne ne se soucie vraiment de l’avenir de Gaza, pas même ce soi-disant président.
Le rejet par Abbas de tout rôle pour le Hamas semble ancré dans un désir de maintenir le contrôle politique, même au détriment de l’unité et du progrès. Cette lutte pour le pouvoir a un coût dévastateur pour la population de Gaza, qui reste prisonnière d’un cycle de désespoir. Au lieu de donner la priorité au bien-être de la population, les agendas politiques et les rivalités dominent la discussion, laissant des millions de personnes souffrir. L’absence de leadership cohérent empêche de reconstruire, de s’attaquer à la crise humanitaire ou d’envisager un avenir où Gaza pourra à nouveau se déployer.
Cette guerre ne s’arrêtera pas avec la dernière frappe aérienne. Ses effets persisteront dans les décombres, dans la lutte pour la reconstruction et dans la crainte constante que le cessez-le-feu ne dure pas. La population de Gaza a besoin de plus que des mots de solidarité. Nous avons besoin d’actions internationales significatives pour soutenir la reconstruction et garantir la fin de l’impunité.
Malak Hijazi est un écrivain basé à Gaza.
Traduction : SL pour l’Agence Média Palestine
Source: Electronic Intifada



