Le plan de Trump : le nettoyage ethnique comme ambition fasciste 

L’appel de Trump au nettoyage ethnique de Gaza est l’expression d’un mouvement mondial en plein essor, avec Israël à l’avant-garde, qui cherche à renverser les normes internationales établies de longue date. Les liens des Palestiniens à la terre entrent en résistance directe à ce projet. 

Par Abdaljawad Omar, le 6 février 2025 

Donald Trump lève le pouce après sa rencontre avec Benjamin Netanyahu dans le bureau ovale de la Maison Blanche, le 4 février 2025. (Photo : Avi Ohayon, GPO)  


Dans le sillage de l’opération « Déluge Al Aqsa », Israël, avec le soutien de l’administration Biden – dirigée par Joseph Biden, Antony Blinken et Jake Sullivan – a tenté d’établir un soi-disant « corridor humanitaire », qui devait servir à déplacer des centaines de milliers de Palestiniens. En pratique, toutefois, ce mécanisme aurait simplifié l’expulsion et le nettoyage ethnique de centaines de milliers de Palestiniens vers l’Égypte. Dans le lexique édulcoré des libéraux, le nettoyage ethnique se traduit par des couloirs humanitaires, un tour de passe-passe rhétorique qui transforme le déplacement forcé en un acte de bienveillance humanitaire. 

Pendant ce temps, dans la logique opérationnelle et transactionnelle du développement immobilier, Gaza n’est plus qu’un domaine en bord de mer, prêt à être acheté et investi. C’est du moins ainsi que l’a présenté le président américain Donald Trump lors d’une récente conférence de presse, où il a évoqué à la fois les décennies de sang et la possibilité de rendre à Gaza sa grandeur d’antan, mais sans les Gazaouis et, détail intéressant, sans les Israéliens également. 

Il n’est guère surprenant de voir les grands médias libéraux – si souvent critiques à l’égard de Trump sur des questions allant des tarifs douaniers et de l’immigration à la croisade supposée d’Elon Musk contre la bureaucratie gouvernementale américaine – adopter son langage avec une force idéologique totale lorsqu’il s’agit de la Palestine. Le New York Times parle de « réinstallation » des Palestiniens, tandis que Le Financial Times présente la question en des termes similaires, comme si le déplacement forcé et le nettoyage ethnique étaient un casse-tête logistique et non un crime. 

Nulle part il n’a été question de nettoyage ethnique ou de désignation des personnes qui cherchent à chasser la population indigène, et encore moins des raisons de cette expulsion. Même lorsque la couverture était critique, ce n’est pas la moralité de l’acte qui a été remise en question, mais plutôt sa faisabilité. Lorsque des dissidences apparaissaient, l’accent était mis sur les défis pratiques d’un tel projet : les obstacles logistiques, les hésitations des gouvernements arabes, l’éventuelle instabilité régionale et le bon sens de Trump. Une étude de The Economist considérait le plan « époustouflant » de Trump comme un levier destiné à faciliter la normalisation avec l’Arabie saoudite et à donner aux Saoudiens une justification pour normaliser leurs relations après 15 mois de massacres et de destructions à Gaza. 

Il faut peut-être se rappeler que Trump, après tout, ne disait rien de très radical lorsqu’on le compare aux décisions politiques et à la rhétorique de la précédente administration libérale et démocrate dirigée par Biden. Tous partagent le même souhait : que les Palestiniens et la Palestine disparaissent. La seule différence est une question de façon de le présenter : comment le formuler au mieux, quand cela pourrait être faisable, et à quel prix pour la région. Mais la Palestine et les Palestiniens, ces agitateurs dérangeants, doivent être installés ailleurs – hors de question de les laisser rester. 

La logique humanitaire du nettoyage ethnique, le blanchiment des crimes et la froideur mercantile – si brutalement prononcées par Trump – font toutes partie de la même arrogance qui a longtemps défini, et continue de définir, l’impérialisme américain, tout comme l’impérialisme britannique avant lui, en ce qui concerne la Palestine. 

En fait, le même langage a déjà été utilisé. En 1830, le président Andrew Jackson a justifié la Indian Removal Act comme une mesure nécessaire au « bonheur » des Amérindiens, les soumettant à un nettoyage ethnique pour soi-disant protéger leur mode de vie. En 1947, les autorités britanniques, alors qu’elles se préparaient à se retirer de l’Inde, ont considéré la partition comme une « solution » inévitable aux conflits sectaires, présentant le déplacement de millions de personnes comme une nécessité administrative plutôt que comme un cataclysme orchestré. Même en Palestine, avant 1948, les responsables coloniaux britanniques comme Sir Edward Grigg parlaient de l’immigration juive comme d’un moyen de « valoriser » la terre, rejetant la présence palestinienne comme un obstacle à la modernité. La logique reste inchangée : le déplacement est présenté comme du pragmatisme, le nettoyage ethnique est dissimulé derrière le langage de l’ordre et du progrès, et pour Trump : les Palestiniens sont un obstacle à un magnifique front de mer où tout le monde pourrait vivre, y compris « certains Palestiniens ». 

Établir le projet fasciste 

Il n’y a pas si longtemps, Trump a déclaré que s’il devait tirer sur quelqu’un au milieu de Manhattan, il s’en sortirait sans punition. L’importance de cette déclaration ne réside pas dans son arrogance, mais dans son obscène vérité : le pouvoir, lorsqu’il est débridé, ne se contente pas d’agir en dehors de la loi, il dicte ce qu’est la loi. C’est précisément la logique qui sous-tend la destruction de Gaza par Israël. Il ne s’agit pas simplement d’un acte de guerre, mais d’une démonstration d’impunité, d’une démonstration que les normes internationales, comme les passants de Manhattan, vont simplement regarder et ne rien faire. 

Mais le point crucial ici est qu’Israël ne « s’en sort pas » simplement. Israël n’attend pas simplement la non-ingérence ; il exige l’approbation, la déférence et une démonstration rituelle de loyauté envers son projet de nettoyage de la Palestine des Palestiniens. Il n’était donc guère surprenant de voir Netanyahu se tenir à côté de Trump, tout sourire. Voici enfin un président américain prêt non seulement à approuver, mais aussi à aller au-delà des obscénités d’Itamar Ben-Gvir et de Bezalel Smotrich et rendre leurs provocations presque pittoresques en comparaison. 

Israël s’attend à être récompensé, à ce que le projet de nettoyage ethnique non seulement se poursuive sans être contesté, mais soit banalisé, légitimé et présenté comme le cours inévitable de l’histoire. C’est là que le rôle de Trump intervient : il n’est pas simplement un facilitateur, mais celui qui rend pleinement dicible ce qui était auparavant indicible. Son style grossier et arrogant offre à Israël quelque chose que même Netanyahu n’a pas pu pleinement accomplir : l’espoir d’imposer ce projet aux gouvernements arabes, de retourner à Gaza non pas en tant qu’occupant d’une population non coopérative, mais en tant que puissance qui chasse les Palestiniens. 

L’une des caractéristiques des mouvements fascistes contemporains est leur capacité à se présenter comme la seule réponse viable au malaise structurel, aux impasses fondamentales et non résolues. En ce sens, ils ne se contentent pas de réagir aux crises ; ils en fixent le programme. Des personnalités comme Trump ou Ben-Gvir orientent leurs sociétés selon la direction qu’ils jugent nécessaire, qu’il s’agisse de la déportation massive d’exilés aux États-Unis ou du nettoyage ethnique forcé des Palestiniens. Ils libèrent les forces psychiques, idéologiques et politiques qui font que l’intensification de ces politiques semble non seulement concevable, mais inévitable. Les libéraux, pour leur part, s’opposent parfois à la forme, parfois à l’excès, mais rarement au fond. Ils font ce que les libéraux ont toujours fait : s’agripper à l’ourlet de l’inévitable, espérant le ralentir mais n’osant jamais rompre avec lui. En privé, ils sont d’accord ; en public, ils proposent la même solution, seulement adoucie, reformulée dans le langage du pragmatisme et de la retenue.

Pour Israël, la Charte des Nations unies, les diverses résolutions et les contraintes nominales sur le recours à la force ne sont pas simplement gênantes ; ce sont des obstacles qu’il faut contourner. Une solution véritablement radicale – qu’elle prenne la forme d’un nettoyage ethnique, d’un génocide ou d’une combinaison des deux – exige un excès, une rupture qui rend les contraintes juridiques obsolètes. Pour déchaîner pleinement son arsenal américain et européen, Israël n’a pas seulement besoin d’impunité ; il bénéficie d’un changement plus large de l’ordre mondial, dans lequel la force est réaffirmée comme le principal moyen de résoudre les questions politiques. C’est pourquoi Israël se trouve à l’avant-garde d’un mouvement révisionniste mondial qui cherche à revoir des normes internationales établies de longue date, en établissant de nouveaux précédents pour utiliser la force militaire sous couvert de la nécessité. Si l’ordre international libéral constitue une contrainte, les considérations géopolitiques de la région n’en sont pas moins importantes.

L’adhésion de Trump au nettoyage ethnique est, à bien des égards, une affirmation du projet sioniste religieux – le fascisme face au fascisme, pour aboutir à une conclusion partagée. Le seul horizon imaginable, s’accordent-ils, n’est pas celui de la décolonisation, du démantèlement de l’apartheid ou de la fin des ethnonationalismes, mais leur aboutissement à leur forme d’articulation la plus élevée : le nettoyage des terres par le meurtre ou l’expulsion. 

Le nettoyage ethnique à l’ère de la normalisation 

En 1948, alors qu’Israël se lançait dans le nettoyage ethnique de la Palestine – détruisant plus de 500 villages, réduisant des villes comme Jaffa à l’état de ruines et érigeant un État sur les ruines de la vie palestinienne – ses dirigeants ne parlaient pas ouvertement de nettoyage ethnique. La dépossession était un fait matériel, pas un sujet de débat. On pourrait dire que la situation actuelle diffère en raison de l’omniprésence des technologies de la communication, de l’instantanéité de l’information et de l’impossibilité de dissimulation. Pourtant, ce qui a changé, ce n’est pas seulement la visibilité de la violence, mais les conditions géopolitiques qui façonnent son exécution et son endiguement. 

À l’époque, Israël avait peu d’accords formels avec le monde arabe. Il s’était toutefois engagé dans des négociations secrètes avec les Hachémites, qui avaient leurs propres ambitions en Palestine. Même avant la guerre, Golda Meir, alors représentante de l’Agence juive, avait rencontré le roi Abdallah Ier de Transjordanie en novembre 1947 pour conclure un accord informel. Malgré ces tractations secrètes, la position régionale d’Israël restait fragile. Il n’y avait pas d’accords d’Abraham, pas d’accords de Camp David avec l’Égypte, pas d’accords d’Oslo, et aucune perspective de normalisation avec l’Arabie saoudite. Israël était une puissance naissante dans la région, et si de nombreux dirigeants arabes entretenaient des contacts informels ou des alliances formelles avec la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis, les relations directes avec Israël n’étaient pas encore codifiées. 

Lorsque la Nakba s’est abattue et que les milices sionistes se sont lancées dans des massacres et dans la destruction massive de villes et villages anciens, les régimes arabes étaient soit trop faibles, soit trop complices, soit carrément hostiles. Aujourd’hui, la situation est différente, mais pas nécessairement meilleure. Les Saoudiens injectent de l’argent dans les fonds d’investissement de Jared Kushner, de nombreux États du Golfe ont signé des accords de normalisation, et l’Égypte et la Jordanie restent des piliers indispensables d’une architecture régionale dont les régimes sont pragmatiques, très accommodants envers l’hégémonie américaine et respectueux des impératifs américains et israéliens. Pourtant, ils sont également profondément réfractaires à l’instabilité et à la fracture de leurs propres régimes, ainsi qu’à la perspective de voir des millions de Palestiniens arriver dans leurs États et faire ce que les Palestiniens font si souvent : déstabiliser et défier. Dans le même temps, ces régimes sont constamment à la recherche de moyens pour renforcer leur légitimité. Si la rhétorique de Trump sur la Palestine peut sembler vaine, elle fournit paradoxalement aux dirigeants arabes une justification à leur propre accommodement avec Israël. Tant que les menaces d’expulsion massive et d’ingénierie démographique restent hypothétiques, ils peuvent prétendre que leur normalisation avec Israël et leur déférence envers les États-Unis tempère les tensions pour empêcher les pires conséquences.

Le paradoxe du nettoyage ethnique à l’ère de la normalisation réside dans la façon dont la normalisation permet et limite l’expansionnisme israélien. D’une part, la normalisation renforce la position régionale d’Israël, assurant sa suprématie militaire, son intégration économique et sa légitimité politique. Toutes les recettes pour plus de guerres. Elle n’arrête pas le projet de colonisation de peuplement d’Israël, mais le renforce en l’intégrant dans un cadre régional plus large. D’autre part, ce même cadre impose certaines limites aux actions d’Israël, rendant le nettoyage ethnique à grande échelle plus coûteux sur le plan diplomatique. 

Cela soulève un dilemme stratégique : vaut-il la peine d’expulser les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza si cela risque de déstabiliser les relations d’Israël avec les États voisins comme la Jordanie et l’Égypte ou de compromettre les futurs accords avec l’Arabie saoudite ? Plus important encore, vaut-il la peine de procéder au nettoyage ethnique d’une population qui a historiquement donné naissance à des politiques radicales et à des régimes régionaux instables ? Plutôt que d’empêcher purement et simplement le nettoyage ethnique, la normalisation oblige Israël à le poursuivre sous des formes plus « gérables » – par le biais de mécanismes bureaucratiques, juridiques et économiques plutôt que par des expulsions massives – ce qui a été la logique dominante depuis l’occupation militaire d’Israël en 1967. Les démolitions de maisons, les saisies de terres, l’étranglement économique et les déplacements progressifs cachent des formes plus manifestes de nettoyage ethnique, afin que le processus continue, mais de manière moins visible et moins perturbatrice pour la stabilité régionale. 

 La normalisation, pour être précis, ne freine pas réellement l’expansion israélienne, mais sert plutôt de mécanisme pour ordonner et réguler son exécution. La volonté d’éliminer les Palestiniens demeure, mais les méthodes sont ajustées pour minimiser les retombées diplomatiques. La normalisation ne marque donc pas un abandon du nettoyage ethnique, mais une transformation de son rythme et de sa visibilité. À Gaza, Israël a pu intensifier ses massacres et ses destructions, mettant ainsi dans l’embarras ses alliés régionaux et exposant leur complicité. Pourtant, lorsque l’Égypte a fermé la frontière et a profité de l’autorisation sélective des sorties de Palestiniens, elle a justifié ses actions sous le prétexte de « maintenir les Palestiniens sur leur terre ». Pendant ce temps, alors que Trump et Netanyahu préparent le terrain pour de nouveaux déplacements, la droite israélienne reste de plus en plus obsédée par la Cisjordanie plutôt que par Gaza. Le nettoyage ethnique, lorsqu’il s’inscrit dans une logique d’hostilité envers les États voisins, est plus facile à mettre en œuvre que dans le contexte d’une architecture régionale fixe, qui exige des négociations, des représailles diplomatiques et des compromis occasionnels. 

Le problème d’Israël est aggravé par une autre dimension : la présence persistante des Palestiniens eux-mêmes. Malgré la capacité d’Israël à mettre en place un processus d’élimination lent et systématique – que ce soit par l’asphyxie bureaucratique, la terreur militaire ou la destruction des maisons – les Palestiniens demeurent. Leur existence même continue de perturber le calcul colonial des colons, refusant d’être effacés, absorbés ou réduits au silence.  

Des Palestiniens passent devant des bâtiments effondrés dans les rues de Gaza City le 5 février 2025. (Photo : Omar Ashtawy/APA Images) 

 Le grand retour : les décombres, symbole du refus 

 Depuis le déclenchement de la guerre génocidaire d’Israël, les Palestiniens de Gaza ont subi une campagne de bombardements incessante, qui a réduit des quartiers entiers à l’état de décombres, transformant des maisons, des hôpitaux et des universités en ruines. Pourtant, il était frappant de voir des centaines de milliers de Palestiniens retourner à la dévastation. Un retour non pas vers le familier, mais vers l’absence – vers le niveau zéro, vers la nécessité de tout recommencer de nouveau à zéro. De nombreux Palestiniens ont demandé, las, comment ils allaient reconstruire leur vie. D’autres ont envisagé de quitter Gaza et de recommencer ailleurs. Mais la majorité a affirmé sa présence et des dizaines de milliers de personnes ont dressé des tentes sur les ruines de leurs maisons détruites.  

Le cessez-le-feu à Gaza, arraché grâce à l’endurance de la résistance palestinienne – et par là je veux dire bien plus que la résistance armée – a brièvement contraint Israël à reconnaître, ne serait-ce que momentanément, la possibilité d’un retour. Ce retour n’était cependant pas une concession magnanime, mais le résultat de la confrontation, de la défiance et de l’usure de la quête de la victoire totale par Israël. Même en retraite, Israël conserve les mécanismes de contrôle : le pouvoir de sanctionner ou d’entraver la reconstruction, la capacité de calibrer la souffrance et, surtout, la menace implicite de faire à nouveau appel à ses avions de chasse. 

Cependant, il faut dire que le rapport des Palestiniens à la terre est complexe. En effet, le capitalisme est entré dans la mêlée et la marchandisation de la terre est également une force montante. Mais contrairement à Trump et à son gendre Jared Kushner, la terre n’est pas une marchandise pour les Palestiniens. 

Lorsque les Palestiniens parlent de terre, ils parlent d’autre chose qui n’est pas tout à fait conforme à la logique capitaliste de la propriété foncière, ni entièrement couverte par la conception lockéenne de l’État. Elaborer ici une grande théorie de la terre, du peuple et de son histoire dépasserait le cadre de cette discussion. 

Rien ne permet de mieux saisir la profondeur de l’attachement des Palestiniens – le caractère matériel, politique et symbolique de la terre – que la vue de celles et ceux qui retournent dans les décombres et les ruines, ou de celles et ceux qui refusent de quitter le nord de Gaza. 

Cependant, rien l’illustre mieux la profondeur de l’attachement – le caractère matériel, politique et symbolique de la terre – que la vue des personnes qui retournent dans les décombres et les ruines, ou de ceux qui ont refusé de quitter le nord de Gaza.  

L’idée que la terre est soit sacrée, soit, au sens capitaliste, profane – une marchandise à exploiter, une entreprise rentable – ne trouve qu’une place partielle dans le discours palestinien. La terre, c’est la vie, c’est la possibilité de fonder a vie, c’est le support de la dignité, c’est l’idée irréductible du foyer. Et pour ceux d’entre nous qui sont bien au fait des desseins israéliens, bien habitués à leurs ruses, à leurs plans et à leurs désirs, il est réconfortant d’être l’obstacle, d’être l’obstacle qu’ils ne franchiront pas.  

La plupart des Palestiniens n’attendent pas d’offres de réinstallation ; en effet, la grande majorité d’entre eux n’ont aucune envie de recommencer ailleurs. Rares sont ceux qui souhaitent devenir la cible de l’hostilité des Européens de droite en se rendant en Europe. Encore moins nombreux sont ceux qui choisiraient l’exil dans les pays arabes, où la vie sans patrie serait une existence vide. Beaucoup préféreraient mourir plutôt que de partir. 

Au cours des derniers mois, la plupart des Palestiniens de Gaza ont incarné cette résilience. Parler de nettoyage ethnique n’a guère servi Israël ou les États-Unis ; professer ouvertement le projet aurait pu réveiller les cauchemars des Palestiniens, et peut-être même freiner certaines de leurs activités de résistance les plus proactives. Pourtant, cette rhétorique a fait de la question de rester – façonnée par une longue histoire de nettoyage ethnique – en une décision profondément politique pour chacun d’entre nous. 

À Gaza, les gens sont retournés dans les ruines, démontrant leur détermination à contrecarrer les plans israéliens, et, avec des signes de victoire, ils ont proclamé avoir anéanti le « Plan des Généraux » d’Israël, un plan visant à nettoyer le nord de Gaza. En Cisjordanie, une conversation ordinaire commence souvent par « On dirait qu’ils veulent nous éliminer. » Alors que certains parmi la classe dominante ont déjà prévu un plan B, en particulier ceux qui sont proches de l’Autorité Palestinienne et de leurs cadres actuels de sécurité et de dirigeants politiques, la plupart, y compris de nombreux membres de ces mêmes cercles, parlent plutôt de leur mort. Certains pourraient envoyer leur fils ou leur fille à l’étranger, mais insistent pour eux-mêmes rester. D’autres disent simplement : « Nous demeurons ici jusqu’à ce qu’ils nous tuent. »  

La question de demeurer — souvent considérée comme passive, voire défaitiste, lorsqu’elle est comparée aux impératifs de la praxis politique proactive — est devenue la question déterminante du moment. Il faudra beaucoup plus de bombes, beaucoup plus de massacres et des millions de morts et de blessés pour qu’Israël nous efface de la terre. Et pour être honnête, même s’ils y parvenaient, cela ne marquerait que le début d’un nouveau chapitre, d’une pratique renouvelée depuis l’extérieur de la Palestine, qui réaffirmerait le droit des Palestiniens au retour, à leur foyer, à leur terre et à leur dignité, et l’histoire continuerait, l’intrigue trouverait de nouveaux personnages et de nouveaux rebondissements. 

Arrêtons-nous ici, un instant, sur la ligne de rupture, sur la fracture qui déchire les catégories de retour. Il y a ceux qui négocient avec leur État, contournent ses contours bureaucratiques, font du lobbying pour obtenir les financements nécessaires pour s’implanter dans les enclaves de Gaza ou dans les colonies du nord qui planent dangereusement près de la frontière libanaise. Et puis, il y a les autres, ceux qui ne retournent pas sur leurs terres mais sur leurs décombres, pas dans leurs maisons mais dans le souvenir de leur effacement. 

Ce n’est pas simplement le résultat d’une asymétrie de pouvoir, bien que les asymétries abondent. Ce qui est en jeu ici est une question de propriété, de droit ontologique. Qui possède la terre, et qui est possédé par elle ? Qui retourne par décret, et qui retourne par insoumission ? Retourner, c’est compter avec les ruines, mais pour certains, les ruines sont une condition d’existence. 

C’est à la fois notre tragédie en tant que Palestiniens et notre condition que nous nous soyons habitués à la vue des ruines, et vous devriez probablement remercier Israël et les États-Unis pour cette accoutumance. Donc, pour tous ceux qui envisagent de réinstaller des Palestiniens et d’imaginer un paysage nettoyé de son peuple — loin des yeux, loin du cœur —, ne vous embêtez pas. Nous ne partirons pas « volontairement ». Certes, certains peuvent étudier à l’étranger ou migrer, mais même ceux qui partent sont liés à ceux qui restent. Ils envoient de l’argent, ils soutiennent les vies qui persistent et ils construisent les maisons dans lesquelles d’autres membres de nos familles vivent. 

Ainsi, la ruine, ce vestige toujours présent de la catastrophe, n’est pas seulement une toile de fond, mais un lieu de persistance. Ce n’est pas un espace à défricher pour vos projets de colonisation, ni pour traiter la terre comme une marchandise comme une autre, ni une relique à pleurer à distance. C’est un espace habité, respiré, construit et auprès duquel on revient. La ruine est une structure du refus. Une expulsion ratée. Le témoignage que, peu importe le nombre de fois où la scène est rasée, les Palestiniens demeurent : invaincus, intraduisibles et, surtout, inébranlables. 


Traduction : SD pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss

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