Le déplacement forcé de plus de 40 000 personnes dans le nord de la Cisjordanie reproduit les scènes observées à Gaza et attise les craintes de nettoyage ethnique. « Le plus important est de rester chez nous », déclare un habitant du camp de réfugiés d’al-Far’a à Mondoweiss.
Par Qassam Muaddi, le 11 février 2025

Israël a étendu son offensive dans le nord de la Cisjordanie, du camp de réfugiés de Jénine aux camps de réfugiés de Nur Shams à Tulkarem et d’al-Far’a à Tubas. Baptisée « Opération Mur de Fer », l’attaque israélienne se poursuit depuis trois semaines, tuant au moins 25 Palestiniens, en blessant plus de 100 et en déplaçant de force 40 000 personnes de leurs foyers, selon une déclaration de l’UNRWA lundi.
« Le déplacement forcé des communautés palestiniennes dans le nord de la Cisjordanie s’intensifie à un rythme alarmant », a déclaré l’UNRWA. « L’utilisation de frappes aériennes, de bulldozers blindés, de détonations contrôlées et d’armes de pointe par les forces israéliennes est devenue monnaie courante – un écho de la guerre à Gaza. »
La semaine dernière, les forces israéliennes ont fait exploser 20 immeubles d’appartements dans le camp de réfugiés de Jénine, l’une des plus importantes démolitions en Cisjordanie depuis des années. Les habitants et les médias ont comparé l’effet de la destruction à la stratégie de la « ceinture de feu » qu’Israël a employée à Gaza, consistant à bombarder de manière concentrée et répétitive de petites zones pour détruire des blocs résidentiels entiers.
L’offensive israélienne en Cisjordanie est en cours depuis la mi-janvier, ce qui en fait l’invasion militaire la plus longue et la plus étendue depuis la deuxième Intifada. Le ministre israélien de la Guerre, Israel Katz, a déclaré que l’offensive s’étendrait au reste de la Cisjordanie, alors que des politiciens israéliens d’extrême droite appellent à transférer la guerre de Gaza en Cisjordanie avant son annexion officielle. Le président américain Donald Trump devrait bientôt annoncer si les États-Unis pourraient soutenir une telle initiative.
« C’était humiliant et douloureux »
Sur le terrain, les Palestiniens de Cisjordanie ont vu leur vie paralysée et bouleversée par la répression israélienne. Les bouclages et les barrages routiers israéliens sont devenus une pratique quotidienne, rendant les déplacements entre les villes et les villages incertains pour des centaines de milliers de Palestiniens. Dans le nord de la Cisjordanie, cette réalité s’est transformée en zone de guerre, en particulier dans les camps de réfugiés.
« Avant d’être obligés de quitter notre maison avec mon mari et mes enfants, nous avons passé deux jours sans eau, car les forces d’occupation avaient coupé l’eau dans tout le camp », a déclaré à Mondoweiss Nehaya al-Jundi, résidente du camp de réfugiés de Nur Shams et directrice de son centre de réadaptation pour handicapés.
« Les soldats de l’occupation allaient de maison en maison et forçaient les gens à sortir, tandis que ma famille et moi attendions notre tour depuis deux jours », a poursuivi al-Jundi. « Ma voisine, Sundos Shalabi, qui était enceinte de huit mois, a décidé avec son mari de partir dimanche de peur d’accoucher pendant le siège du camp. »
La tragédie poignante de Sundos Shalabi a fait la une des journaux en début de semaine. « Son mari roulait sur la route en direction de la ville de Bal’a, juste à l’extérieur du camp de réfugiés, lorsque des soldats de l’occupation ont ouvert le feu sur la voiture », a expliqué al-Jundi. « Il a été blessé et a perdu le contrôle, si bien que la voiture s’est renversée et que Sundos et son bébé à naître ont été tués. Son mari est toujours aux soins intensifs de l’hôpital de Tulkarem. »
« Lundi, les soldats ont démoli le mur extérieur de ma maison, puis ont appelé tous les habitants du quartier par haut-parleurs à partir », a poursuivi al-Jundi. « J’ai pris quelques affaires de première nécessité et quelques vêtements de rechange, puis nous avons verrouillé les portes de notre maison et rejoint d’autres habitants dans la rue, où les soldats d’occupation ont séparé les hommes des femmes. »
« Ils nous ont fouillés et interrogés, puis nous ont fait passer dix par dix dans une direction précise », se souvient-elle. « Nous avons marché dans les rues défoncées et détruites, au milieu des flaques d’eau de pluie. Certains trébuchaient et tombaient, hommes et femmes, enfants et personnes âgées. Certains pleuraient. C’était très humiliant et douloureux. »

« Le plus important, c’est de rester chez nous »
Dans le camp de réfugiés d’al-Far’a, à Tubas, l’armée israélienne a intensifié ses opérations après dix jours de blocus des entrées du camp. Mardi, les habitants ont signalé que les forces israéliennes avaient commencé à démolir des magasins et des maisons à l’intérieur du camp.
« Nous espérions que l’occupation se retirerait du camp aujourd’hui, mais nous avons été surpris de les voir démolir, et dans certains cas faire exploser, les magasins des rues intérieures sans interruption depuis le matin », a déclaré mardi Lara Suboh, une habitante d’al-Far’a âgée d’une vingtaine d’années, à Monodweiss.
« Nous n’avons pas eu d’eau pendant dix jours, car la première chose que les forces d’occupation ont faite a été de faire sauter les conduites d’eau, et nous dépendons des réservoirs d’eau sur nos toits », a-t-elle expliqué. « Certaines personnes sont parties plus tôt parce qu’elles ont des membres de leur famille malades ou handicapés, mais d’autres ont été contraintes de partir hier. Les soldats de l’occupation leur ont demandé de partir en dix minutes. »
« Ils ne l’ont pas encore fait dans notre rue », a-t-elle ajouté. « Nous sommes cinq dans la maison, y compris mes deux frères et sœurs et mes deux parents. Nous survivons grâce à la nourriture que nous avions achetée avant le début du siège, en espérant que l’offensive se terminera avant que notre nourriture et notre eau ne s’épuisent. Le plus important pour moi est que nous restions chez nous, même s’ils détruisent notre maison et tout le reste, nous pourrons la reconstruire plus tard. Mais je ne veux pas que ma famille et moi soyons déplacés. »
Le comité d’urgence du camp de réfugiés d’al-Far’a a déclaré mardi que les forces israéliennes avaient déjà déplacé 3 000 personnes sur une population de 9 000 personnes dans le camp. À Tulkarem, le comité d’urgence du camp de réfugiés de Nur Shams a déclaré que la moitié de la population du camp avait été déplacée et que les forces israéliennes avaient détruit 200 maisons entièrement et 120 autres « partiellement ».
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss