Toujours en activité malgré l’interdiction d’Israël, le directeur de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, explique comment cette agence prépare le terrain pour les futures institutions palestiniennes.
Par Ghousoon Bisharat et Meron Rapoport, le 27 février 2025

À la fin du mois dernier, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) – la principale organisation humanitaire pour les réfugiés palestiniens à Gaza, en Cisjordanie et dans tout le Moyen-Orient – s’est retrouvé en terrain inconnu. En octobre, la Knesset israélienne avait adopté deux lois visant l’agence, qui sont entrées en vigueur le 30 janvier. La première interdisait à l’agence d’opérer à Jérusalem-Est, où l’UNRWA gère des écoles, des cliniques et des centres de formation professionnelle et possède l’un de ses sièges. La seconde rompait les liens entre Israël et l’UNRWA et interdisait aux autorités israéliennes de contacter l’agence ; ne pouvant plus coordonner son action avec les responsables israéliens, l’UNRWA a averti qu’elle pourrait être contrainte d’interrompre toutes ses activités de secours en Cisjordanie et à Gaza, où elle reste le plus grand fournisseur d’aide.
L’impact immédiat de l’interdiction israélienne a été d’expulser le personnel international de l’UNRWA des territoires palestiniens occupés, car leurs visas ont été raccourcis pour expirer juste avant l’entrée en vigueur des lois. Pendant ce temps, Adalah et Gisha, deux organisations juridiques en Israël, ont déposé une requête auprès de la Cour suprême israélienne, et la Cour internationale de justice (CIJ) pourrait émettre un avis consultatif sur les deux lois israéliennes dans les prochains jours.
Pourtant, malgré l’interdiction et les importantes réductions de financement de l’agence, Philippe Lazzarini, le commissaire général de l’UNRWA, a déclaré à +972 que l’agence poursuivait son travail essentiel, même à Jérusalem-Est. À Gaza, l’agence a distribué de la nourriture à plus de 1,9 million de Palestiniens pendant le cessez-le-feu et a également repris son enseignement en ligne et sur place, bien qu’à une échelle limitée. En Cisjordanie, les écoles et les centres de santé de l’UNRWA restent ouverts, bien que ses activités aient été fortement entravées par l’opération militaire israélienne en cours dans les camps de réfugiés du nord.
Lazzarini, qui dirige l’agence depuis cinq ans, n’a plus le droit d’entrer à Gaza depuis mars 2024, ni en Israël et en Cisjordanie depuis juin 2024. Dans une interview accordée à +972 et Local Call, il explique que les attaques israéliennes en cours contre l’UNRWA – qui, en plus de la législation, ont inclus un effort mené par le gouvernement pour discréditer l’agence en l’accusant d’être infiltrée par le Hamas – ne font pas seulement partie d’une attaque contre les réfugiés palestiniens et le droit au retour, mais constituent une attaque « contre l’histoire et l’identité palestiniennes ».
Si l’UNRWA cesse d’exister, prévient-il, la question des réfugiés palestiniens ne disparaîtra pas. Au contraire, la région sera confrontée à des conséquences catastrophiques, avec des centaines de milliers de Palestiniens à travers les territoires occupés privés d’accès à l’éducation et aux soins de santé. Cela, affirme-t-il, créerait un vide que personne ne pourrait combler.
L’interview a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.
Que se passe-t-il concernant les activités et les opérations de l’UNRWA à Gaza et en Cisjordanie ? Quel est l’impact exact de la loi interdisant aux autorités israéliennes de contacter l’UNRWA ?
Pour l’instant, toutes nos activités se poursuivent. À Gaza, nous avons lancé [la dernière phase] d’une vaste campagne de vaccination contre la polio. Depuis le début du cessez-le-feu jusqu’à la semaine dernière, les équipes de l’UNRWA ont distribué des colis alimentaires à plus de 1,9 million de personnes. Nous continuons à fournir des consultations de santé primaires, 17 000 par jour en moyenne. Nous avons également réhabilité et construit des centres de soins supplémentaires, en particulier dans le nord de Gaza, où des centaines de milliers de personnes sont revenues, parallèlement à nos efforts pour réparer les infrastructures locales de pompage de l’eau.
L’UNRWA continue à fournir un soutien psychosocial à des dizaines de milliers d’enfants à Gaza, et nous avons également lancé des initiatives éducatives en présentiel. Bien sûr, elles sont très limitées et ne sont pas des programmes normaux, mais nous essayons de réunir les enfants. Elles ont lieu dans 86 espaces d’apprentissage temporaires dans 40 écoles de l’UNRWA transformées en abris, où les enfants apprennent les langues et les mathématiques, bénéficient d’un soutien psychosocial et participent à de nombreuses activités de loisirs telles que les arts, la musique et le sport.
Le mois dernier, nous avons lancé un nouveau programme d’enseignement à distance pour limiter davantage la perte d’apprentissage chez les enfants palestiniens déplacés. À ce jour, 251 691 enfants se sont inscrits et ont participé à des cours d’arabe, d’anglais, de mathématiques et de sciences de base. Lorsque mes collègues ont suggéré de commencer par l’apprentissage en ligne, j’ai demandé comment cela serait possible. Ils m’ont répondu : « Vous verrez », et ils avaient raison.
La réouverture de nos écoles dépend de nombreux facteurs : si le cessez-le-feu tient et si nous pouvons nous appuyer sur la deuxième phase, quel type de réhabilitation ou de reconstruction aura lieu à Gaza et ce que nous serons autorisés à faire. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas reprendre possession de nos écoles, nous devons donc trouver des moyens créatifs de réunir les enfants. Si la reconstruction de Gaza commençait demain, selon les estimations les plus optimistes, il faudrait deux ans pour que toutes les personnes déplacées qui se réfugient dans les écoles restantes puissent partir. Ce n’est qu’alors que nous pourrions commencer la réhabilitation.

En Cisjordanie, il ne reste plus aucun membre du personnel international, mais nos écoles et nos centres de santé sont toujours ouverts, à l’exception des zones où l’armée israélienne opère actuellement. Dans le camp de réfugiés de Jénine, par exemple, nos activités et nos opérations ont été suspendues depuis décembre, d’abord en raison de l’opération de l’AP, puis de celle de l’armée israélienne. Environ 40 000 personnes ont été contraintes de fuir leurs foyers dans les camps de réfugiés du nord ; nous les retrouvons et continuons à leur fournir la nourriture, les soins de santé et les fournitures de base dont elles ont tant besoin pour rester au chaud.
Nous interprétons les lois [israéliennes] comme n’empêchant pas l’UNRWA de poursuivre ses activités et de fournir des services aux Palestiniens en Cisjordanie. Nous n’avons jamais reçu de document [du gouvernement israélien] indiquant le contraire ou nous informant de la manière dont les lois seront appliquées.
Quelle est la situation à Jérusalem-Est, où Israël a interdit à l’UNRWA d’exercer ses activités ?
Le 18 février, des policiers israéliens, accompagnés de membres du personnel du ministère de l’Éducation, se sont présentés dans trois écoles de l’UNRWA à Jérusalem-Est et ont ordonné leur fermeture. Le même jour, la police israélienne et des membres du personnel de la municipalité de Jérusalem sont entrés de force dans le centre de formation de l’UNRWA à Qalandia, ont tiré des gaz lacrymogènes et des bombes assourdissantes et ont ordonné son évacuation immédiate. Nous avons dû suspendre l’enseignement ce jour-là dans ces quatre établissements de l’UNRWA, mais l’avons repris le lendemain.
Aujourd’hui, les enfants se rendent au centre de formation professionnelle et dans les écoles de l’UNRWA à Jérusalem-Est, avec un taux de fréquentation d’environ 80 % par rapport à la normale jusqu’à présent. Nos centres de santé sont toujours ouverts pour les consultations et nous traitons quelques centaines de personnes chaque jour.
Israël a affirmé que 19 employés de l’UNRWA étaient impliqués dans les attentats du 7 octobre et que le Hamas utilisait les installations de l’UNRWA dans la bande de Gaza et avait recruté une centaine d’employés de l’UNRWA. À la suite de ces allégations, le Bureau des services de contrôle interne des Nations unies (BSCI) – la plus haute instance d’enquête du système des Nations unies – a mené une enquête. Pouvez-vous nous en dire plus sur ses conclusions, qui ont été publiées en août ? L’UNRWA enquête-t-elle toujours sur l’accusation concernant les 100 employés de l’UNRWA qui, selon Israël, sont membres du Hamas ?
La conclusion de l’enquête du BSCI était que neuf membres du personnel de l’UNRWA pourraient avoir été impliqués dans les attentats du 7 octobre. Si nous pouvons corroborer ou authentifier les informations, il y a des raisons de poursuivre une enquête et une action pénale. [Lors de la publication de l’enquête, un porte-parole de l’ONU a noté que « puisque les informations utilisées par les responsables israéliens pour étayer les allégations sont restées sous la garde d’Israël, le BSCI n’a pas été en mesure d’authentifier de manière indépendante la plupart des informations qui lui ont été fournies ».
J’ai décidé que ces neuf membres du personnel ne pouvaient pas travailler pour l’UNRWA : tous leurs contrats ont été résiliés. D’autres m’ont demandé : « Comment pouvez-vous prendre une décision aussi radicale sans avoir de preuves ? Vous pourriez même perdre si l’un de ces membres du personnel porte l’affaire devant un tribunal administratif. » Mais cette décision était dans le meilleur intérêt de l’agence, dont la priorité est de continuer à fournir des services vitaux et essentiels aux réfugiés palestiniens à Gaza et dans toute la région.
Concernant les 100 employés de l’UNRWA, nous avons demandé à plusieurs reprises des informations au gouvernement israélien. Nous ne pouvons pas ouvrir une enquête sur la seule base d’une liste de noms qui nous a été soumise s’il n’y a pas d’informations étayées. J’ai même demandé à certains États membres qui pourraient détenir des informations privilégiées de nous les communiquer afin de nous permettre d’ouvrir une enquête. Nous n’avons jamais rien reçu.
Il est très important de mentionner que l’UNRWA partage les noms de tous ses employés dans les territoires palestiniens occupés avec le gouvernement d’Israël depuis près de deux décennies.
Il y a aussi le rapport de Catherine Colonna, l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, que l’ONU a commandé en janvier 2024 après qu’Israël eut accusé pour la première fois le personnel de l’UNRWA d’avoir participé aux attentats du 7 octobre. Ce rapport a conclu que « l’UNRWA a une approche de la neutralité plus développée que d’autres entités similaires de l’ONU ou des ONG », mais il a également émis des réserves sur la politisation croissante de votre personnel, la neutralité des installations de l’UNRWA, ainsi que certaines préoccupations concernant le contenu des manuels scolaires enseignés dans les écoles de l’UNRWA. Vous avez entériné les conclusions du rapport – pouvez-vous expliquer pourquoi, et comment l’agence a essayé de les mettre en œuvre ?
L’une des principales conclusions du rapport Colonna était en effet que nous disposons de systèmes [pour maintenir la neutralité politique] qui sont plus solides que ceux de quiconque. Mais en raison de l’incroyable empreinte de l’agence dans la région, et de la profonde politisation de tout, il est important que nous soyons encore plus vigilants. C’est pourquoi nous avons décidé d’adopter dès le premier jour un certain nombre de recommandations. Certaines d’entre elles nécessiteraient le soutien des pays hôtes, notamment en ce qui concerne les manuels scolaires. Nous sommes sur le point de lancer un site web où chacun pourra suivre la mise en œuvre des recommandations.
Depuis octobre 2023, cependant, l’attaque contre l’agence est un objectif de guerre [israélien]. Dès le début de la guerre, nous avons entendu dire que « le Hamas, c’est Gaza, Gaza, c’est le Hamas. Et l’UNRWA, c’est Gaza, l’UNRWA, c’est le Hamas, donc nous devons aussi nous débarrasser de l’UNRWA ». L’UNRWA a été très souvent mentionnée dans certaines des communications adressées à la CIJ [dans l’affaire du génocide en Afrique du Sud contre Israël, qui s’appuyait en partie sur les données de l’UNRWA]. Et puis [en conséquence], un véritable effort concerté et organisé pour saper et discréditer l’agence a commencé à se mettre en place. Sur le plan diplomatique, Israël a tenté de convaincre les pays donateurs de suspendre leur soutien à l’agence. Sur le plan politique, sur les réseaux sociaux, nous sommes lynchés quotidiennement. Il y a même des campagnes publicitaires financées par le ministère [israélien] des Affaires étrangères. Et tout cela a abouti aux deux fameux projets de loi, qui sont désormais devenus réalité.
Je reconnais que nous n’opérons pas dans un environnement sans risque. La question des violations de la neutralité au sein de l’organisation peut être abordée chaque fois qu’il existe des informations fondées. La véritable motivation [derrière les allégations contre l’UNRWA] nous a été révélée par les auteurs des projets de loi eux-mêmes : ils disent qu’il s’agit d’une occasion unique de se débarrasser de l’UNRWA, qui, selon eux, perpétue le statut de réfugié des Palestiniens et donc la question du droit au retour. En fait, il suffit de relier les points pour comprendre que cela est dit ouvertement et régulièrement.
Je tiens également à vous rappeler que nous avions des relations très difficiles avec le Hamas, qui n’appréciait pas particulièrement l’UNRWA. Ils n’aimaient pas le fait que nous ayons un programme d’études sur les droits de l’homme dans nos classes. Ils n’aimaient pas notre code d’éthique promouvant l’égalité des sexes. Ils n’aimaient pas notre camp d’été où des centaines de milliers d’enfants venaient, filles et garçons mélangés, pour faire de l’art, du sport et de la musique. Le Hamas s’opposait également à la parité des sexes, tant dans notre personnel à Gaza que dans nos écoles : plus de la moitié des enfants dans nos écoles sont des filles et plus de la moitié de notre personnel, y compris les enseignants, sont des femmes. Nous avons été régulièrement accusés par [le Hamas] de travailler pour l’occupant [Israël].
Comment expliquez-vous que de nombreux pays aient immédiatement et très rapidement gelé leur aide à l’UNRWA après les allégations d’Israël en janvier 2024 ? Beaucoup d’entre eux ont rétabli l’aide après quelques mois, mais certains pays – dont le vôtre, la Suisse, ainsi que les États-Unis – insistent toujours pour suspendre leur soutien.
Au début, ces [gel des aides] étaient des décisions temporaires prises par précaution. Très vite, environ six semaines après [les accusations d’Israël], tous les pays donateurs, à l’exception des États-Unis, ont commencé à débloquer l’aide. L’administration américaine actuelle est la même que celle qui a coupé le financement de l’UNRWA dans le passé, et a confirmé qu’il n’y aurait plus de financement à l’avenir.
La Suède, qui a officiellement annoncé la suspension de son financement en décembre, continuera à nous soutenir politiquement par le biais des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies, mais donnera la priorité au financement d’autres organisations. Il s’agit d’une décision souveraine nationale. Dans mon propre pays [la Suisse], les législateurs sont enclins à suspendre le soutien financier à l’UNRWA, mais ils n’ont pas encore pris de décision finale. L’année dernière, nous avons réussi à augmenter les contributions des pays arabes, des pays du Sud, mais aussi des particuliers. Mais cela n’a pas compensé l’immense manque à gagner des États-Unis, dont la contribution en 2023 était de plus de 350 millions de dollars.
Comment répondez-vous aux responsables politiques israéliens qui ont affirmé, bien avant le 7 octobre, que l’UNRWA entretenait le problème des réfugiés et le droit au retour ?
C’est comme dire que l’aide humanitaire perpétue une guerre. Non, si une guerre se perpétue, c’est en raison de l’absence de solution politique. L’UNRWA a été créée il y a 75 ans pour fournir des services de développement humain aux réfugiés palestiniens, l’une des communautés les plus démunies de la région, et était censée être une organisation temporaire. Et au cours des 15 dernières années, l’ensemble du processus politique a été bloqué, à tel point que même le règlement de la question palestinienne n’a pas été inscrit à l’ordre du jour national en Israël pendant au moins quatre ou cinq cycles électoraux.
Aujourd’hui, après ce terrible choc sismique dans la région qui a profondément traumatisé les Israéliens et les Palestiniens, il est peut-être temps de s’engager véritablement à trouver une solution politique et à aborder la question palestinienne une fois pour toutes. Mettons en place un processus politique limité dans le temps, au cours duquel l’UNRWA se concentre non seulement sur ce qu’elle fait le mieux – l’éducation, les soins de santé primaires, les services de protection sociale – mais contribue également à renforcer les capacités des futures institutions palestiniennes qui seraient habilitées à reprendre ces activités dans le cadre d’une solution politique. Je pense qu’une agence comme la nôtre n’a aucune raison de se perpétuer.
Je pense également que c’est une erreur de dire que si l’UNRWA disparaît, la question du statut de réfugié sera réglée. Elle ne le sera pas et cela ne fera qu’accentuer la pression sur les solutions durables telles que le retour ou la relocalisation. L’UNRWA a pour mission de se concentrer sur le développement humain et laisse la solution politique aux États membres de l’ONU.
On pourrait donc affirmer que l’existence de l’UNRWA est en quelque sorte dans l’intérêt d’Israël.
Je le crois. Imaginons que nous implosions demain. [Israël] n’aurait pas d’alternative [à nos services], et cela créerait un vide, avec encore plus de souffrance et de misère. C’est la meilleure façon de semer les graines d’un extrémisme encore plus grand à ses portes. Et cela provoquerait également des ondes de choc dans tous les pays de la région qui ont leurs propres fragilités nationales. Je pense donc qu’il est vraiment dans l’intérêt de la région, y compris d’Israël, de mettre progressivement fin à cette situation, ce qui se fera dans le cadre d’un processus politique.
Mais l’UNRWA est également confrontée à la critique inverse : certains disent qu’Israël profite indéniablement du rôle de l’UNRWA en tant qu’instrument d’endiguement.
L’accusation d’endiguement est une accusation que nous avons entendue davantage par le passé, mais un peu moins aujourd’hui. Certaines personnes ont également affirmé que nous permettions à Israël d’exercer une occupation moins coûteuse grâce aux services que nous fournissons.
Mais aujourd’hui, nous parlons d’une situation complètement différente, où il y a une volonté et une détermination actives [de la part d’Israël] de se débarrasser de l’agence. Nous avons 600 000 filles et garçons à Gaza qui veulent reprendre leurs études. Si vous vous débarrassez de la seule ressource qui reste à Gaza, qui peut le faire, quelle alternative leur offrons-nous ? Quel sera leur avenir ? Dans les décombres, avec le traumatisme, c’est un terrain parfaitement fertile pour [les recruter] dans n’importe quel type de groupe armé à l’avenir.
Voyez-vous l’attaque contre l’UNRWA comme faisant partie d’une attaque plus large contre le statut de réfugié palestinien ? Nous voyons aujourd’hui ce qui se passe dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie : le ministre israélien de la Défense a déclaré qu’il ne permettrait pas aux gens de retourner dans les camps de réfugiés de Nur Al-Shams, de Jénine ou de Tulkarem. Et bien sûr, à Gaza, les camps de réfugiés ont été lourdement attaqués.
Je pense que l’attaque contre l’UNRWA fait également partie d’une attaque contre l’histoire palestinienne, contre l’identité palestinienne, à cause de ce que nous représentons pour les Palestiniens. Je pense que nous comprendrons vraiment plus tard la portée de l’intention de ces attaques.
Mais vous avez le sentiment que les camps de réfugiés sont particulièrement visés ?
En ce qui concerne ce qu’Israël fait actuellement en Cisjordanie, je dirais que oui. À Gaza, au début, nous n’avons pas nécessairement vu que les camps de réfugiés étaient spécifiquement visés. Le camp de réfugiés de Jabalia a été complètement détruit, mais de nombreux autres quartiers de Gaza l’ont également été.

Et disons que le rêve israélien se réalise et que l’UNRWA cesse d’exister demain. Quelles seraient, selon vous, les répercussions du démantèlement de l’UNRWA ?
Je pense qu’en Cisjordanie [l’effondrement de l’UNRWA] affaiblirait encore davantage l’Autorité palestinienne, voire la pousserait à l’implosion. Je ne vois pas vraiment l’Autorité palestinienne en mesure de combler le vide qui serait créé si l’agence disparaissait. Sur un plan plus politique, je crois que se débarrasser de l’UNRWA est un autre moyen d’affaiblir encore davantage l’aspiration de la cause palestinienne à l’autodétermination.
Est-il possible que les récentes attaques d’Israël contre l’UNRWA aient attiré davantage l’attention sur la question des réfugiés palestiniens ? En d’autres termes, les attaques contre l’UNRWA se sont-elles retournées contre Israël ?
Je ne pense pas que cela attire davantage l’attention, mais je pense que l’on comprend mieux que la question des réfugiés palestiniens, en tant que question politique, ne sera pas résolue si l’on se débarrasse de l’agence – et que le problème pourrait même s’aggraver. Nous devrions vraiment réfléchir à deux fois avant de nous débarrasser d’un outil extraordinaire que la communauté internationale a mis en place pour les réfugiés palestiniens.
Vous avez beaucoup parlé ces derniers mois de la viabilité de l’UNRWA pour une transition politique. Mais comme vous l’avez noté, il n’y a pas eu de véritable processus politique avant le 7 octobre, et les dirigeants politiques palestiniens sont aujourd’hui plus divisés que jamais. Comment voyez-vous l’émergence d’un processus politique avec le gouvernement israélien actuel ?
Il n’y a pas beaucoup de processus pour le moment, mais il y en a un qui est actuellement mené par l’Arabie saoudite et soutenu par l’Union européenne et la Ligue arabe, qui vise essentiellement à relancer l’initiative de paix arabe d’il y a 20 ans. Nous entendons également dire que la normalisation reste un objectif, en Israël mais aussi dans la région. Si tel est le cas, une normalisation durable entre Israël et un certain nombre de pays de la région doit également aborder la question palestinienne.
Je répète sans cesse à mes collègues que je préfère voir le verre à 1 % plein plutôt qu’à 99 % vide. Et j’espère que bientôt je pourrai voir le verre à 5 ou 10 % plein, mais je suis conscient que je ne peux pas être naïvement optimiste quand on connaît les difficultés extraordinaires auxquelles les gens sont confrontés dans la région.
Mais quand je parle du processus politique, l’UNRWA doit être considérée comme un atout : elle contribue à préparer le terrain pour les futures institutions palestiniennes. Notre personnel est principalement composé de fonctionnaires, d’enseignants, d’infirmiers, etc. Nous sommes différents de toute autre agence des Nations unies car l’échelle salariale de notre personnel est alignée sur celle du pays hôte, l’Autorité palestinienne, et sur celle des Nations unies. Pourquoi ? Parce que nous avons toujours, malgré toutes ces décennies, l’objectif final que nos employés deviennent la main-d’œuvre [pour doter en personnel] les futures institutions.
Ghousoon Bisharat est rédacteur en chef du magazine +972.
Meron Rapoport est rédacteur au Local Call.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine