Alors que les étudiant.es du monde entier rêvent de salles de classe, les étudiant.es de Gaza rêvent de survivre.
Par Nadera Mushtha, le vendredi 30 mai 2025

Avant la guerre, les étudiant.es de Gaza étaient entouré.es de livres, pas de bombes. Ils et elles se réveillaient chaque matin à la voix de leurs mères les encourageant à se préparer pour l’école, pas au son des frappes aériennes et des cris. Ils et elles se concentraient sur la construction d’un avenir, travaillant dur pour se façonner une vie meilleure, pour elles et eux-mêmes et pour leur patrie.
Avant la guerre, mes meilleurs ami.es et moi allions dans les restaurants près de l’université, pour parler, rire, manger et étudier ensemble. Nous prenions notre petit-déjeuner ensemble sous un ciel bleu avant d’aller au premier cours.
Avant la guerre, toutes les écoles et universités étaient habitées de l’énergie des étudiant.es et des enseignant.es. Beaucoup de ces bâtiments sont aujourd’hui réduits en ruines. Le dernier jour où les étudiant.es et les élèves ont pu aller en cours est le jeudi 5 octobre 2023. Ce jour est devenu une ligne de démarcation tragique entre la normalité et le chaos, entre la vie et la mort.
Ce jour-là, mon premier cours était un cours de poésie avec le Dr Refaat Alareer. Il est entré dans la classe, tenant son MacBook et le manuel pour notre classe. Je me souviens du premier cours du premier semestre, il avait commencé par une discussion sur un poème. Sa façon d’enseigner était parfaite, et chaque mot qu’il disait retenait l’attention de tout.es les étudiant.es. Ses cours étaient comme des spectacles, et chacun d’eux une histoire.
Dans la nuit du 6 octobre, je n’ai pas pu dormir, sans savoir pourquoi. J’ai fermé les yeux et essayé de trouver le sommeil, mais toutes mes tentatives étaient vaines. J’ai commencé à m’inquiéter de ce qui se passerait le lendemain si je n’arrivais pas à dormir. Et si je me réveillais tard et manquais le début du cours du Dr Refaat ? J’ai fini par réussir à m’endormir, et quand je me suis réveillée, ce n’était pas grâce à mon réveil, mais à à cause du martèlement des bombes. Chaque jour, je rêve de pouvoir m’endormir et me réveiller pour aller à l’université, que cette terrible guerre ne soit qu’un cauchemar qui n’aurait jamais eu lieu.
Des milliers d’étudiant.es ont été tué.es par l’occupation dans un génocide brutal et perpétuel, qui brise les âmes, détruit des maisons et transforme chaque coin de rue en un lieu de deuil. Des dizaines de milliers d’autres ont été blessé.es, déplacé.es ou contraint.es de fuir d’un abri temporaire à un autre. Mon professeur de poésie, le Dr Refaat, qui était un poète de renommée internationale, a été tué en décembre 2023.
Depuis le début de la guerre, la vie est devenue une lutte quotidienne, survivre dans des tentes, sous les bombes, entouré.es de destructions. Les étudiant.es sont témoins de scènes que personne ne devrait jamais voir : la mort, l’effusion de sang et le chagrin. Malgré tout cela, l’éducation reste une bouée de sauvetage, une petite parcelle d’espoir et de normalité au milieu de l’horreur.
Avant de pouvoir reprendre leurs études, ils et elles sont forcé.es d’apprendre de terribles leçons : comment se déplacer rapidement sous les bombes, comment aller chercher de l’eau dans des endroits éloignés, comment enterrer seul.es des êtres chers ; parce qu’à Gaza, chaque jour apporte un nouvel enterrement.
De nombreux.ses élèves sont retourné.es dans leur établissement, pas pour étudier, mais pour trouver refuge avec leur famille. Quelques-un.es ont essayé de reprendre les cours dans des tentes de fortune, guidé.es par des étudiant.es ou des enseignant.es encore dévoué.es à l’éducation. Certain.es étudiant.es se sont tourné.es vers l’apprentissage en ligne avec des universités locales, tandis que d’autres ont postulé à l’étranger, se cherchant un avenir.
Ma sœur, qui est au lycée, étudie seule malgré le manque de livres. Elle ne peut étudier que le jour car il n’y a pas d’électricité ni de lumière la nuit.
Aucun livre scolaire n’est disponible dans la ville, les gens les ont utilisés comme combustible pour cuisiner. Les étudiant.es ont aussi besoin de papier, mais c’est devenu trop cher. Les étudiant.es paient un dollar pour une feuille de papier; elles et ils essaient de télécharger et d’imprimer des fichiers nécessaires ont besoin pour la classe. Comment acheter ou imprimer plus de cent pages pour chaque livre ?
Je suis étudiante à l’université et j’ai terminé ma troisième année pendant la guerre. J’ai été confronté à d’innombrables problèmes. Internet se déconnectait pendant les examens ou les cours, me laissant impuissante. Je me souviens avoir assisté à un cours sur mon téléphone, me cachant sous un escalier pendant que le ciel à l’extérieur était en feu. Je n’entendais pas mon professeur à cause du bruit des drones, mais j’ai refusé de manquer une seule leçon.
Ce devait être l’année de mon diplôme, l’année où je me tiendrais aux côtés de mes ami.es et de mes collègues, vêtu.es de nos coiffes et de nos toges sur la scène de notre université. Mais tout a changé. Beaucoup de nos camarades de classe ont été tué.es, les un.es après les autres, et notre scène universitaire a été incendiée et transformée en abri. Les étudiant.es diplômé.es ont été remplacé.es par des tentes, les chansons de célébration ont été remplacées par le son du glas.
Malgré l’horreur, nous, étudiant.es de Gaza, tenons nos stylos comme des armes de vérité. Nous écrivons, nous apprenons, nous rêvons. Nos écoles peuvent être réduites en ruines, notre volonté sera toujours plus forte que n’importe quelle bombe.
Nadera Mushtha est une écrivaine et une poète de Gaza qui étudie l’anglais à l’Université islamique de Gaza. Ses écrits ont été publiés sur Al Jazeera, Mondoweiss, l’Intifada électronique et le Washington Report on Middle East Affairs.
Traduction : LG pour l’Agence Média Palestine
Source : The Guardian



