Sur une photo désormais virale, on peut voir le docteur Abu Safiya se diriger à la rencontre de soldat·es israélien·nes qui l’appellent depuis leur tank, au milieux des décombres de l’hôpital. C’est la dernière image dont on dispose du médecin, dont on ignore le lieu de détention autant que l’état de santé.
Par l’Agence Média Palestine, le 6 janvier 2025
Le siège de l’hôpital Kamal Adwan
Le 28 octobre 2024, les forces israéliennes ont mené un raid brutal sur l’hôpital et procédé à l’arrestation de plus d’une centaine de personnes, dont la totalité du personnel soignant à l’exception d’une infirmière et du docteur Hussam Abu Safiya, également directeur de l’établissement. Depuis cette date, ce pédiatre de 51 ans était le seul médecin opérant à l’hôpital Kamal Adwan, et cet hôpital était le dernier à continuer de fonctionner dans le nord assiégé de Gaza.
Alors qu’Israël continuait de bombarder le nord et d’empêcher l’entrée de cargaisons humanitaires, le docteur Hussam Abu Safiya n’a eu de cesse de dénoncer le génocide en cours et les attaques ciblées contre les hôpitaux. Blessé à la jambe par des tirs israéliens début décembre, il continuera néanmoins à soigner ses patients autant qu’il le pourra.
« Le ciblage de l’hôpital est un crime contre le système de santé, et le monde doit y mettre fin immédiatement, car nous soignons les blessé·es tout en subissant des bombardements israéliens constants », déclarait-il à la fin du mois de novembre. « Nous appelons le monde à arrêter la machine à tuer israélienne et à mettre fin immédiatement au ciblage de l’hôpital, qui est censé bénéficier d’une protection internationale. »
Le 27 décembre 2024, après deux mois de sièges et d’attaques ciblées, Israël mène un assaut final sur l’hôpital Kamal Adwan, forçant son évacuation. Israël a publié un court extrait vidéo, dans lequel on voit des soldat·es israélien·nes s’adresser poliment au docteur et lui demander de les suivre, prétendant à une simple opération d’évacuation, avec une série de plans censés montrer les patient·es, le personnel et les services d’urgence en train d’être évacué·es « en toute sécurité » de l’hôpital. Ce que les images de l’armée israélienne ne montrent pas et que de nombreux·ses témoins rapportent cependant, c’est qu’une fois les caméras coupées, le Dr Abu Safiya et un certain nombre d’autres patient·es, de journalistes et de membres du personnel hospitalier à l’intérieur de Kamal Adwan ont été enlevé·es, battus·e et maltraité·es par les soldat·es. Les patient·es et soignant·es ont été placé·es les bras levés, en sous-vêtement, entre deux rangées de blindés et une large partie de l’hôpital a été incendiée par l’armée israélienne. Plus de 240 personnes ont été arrêtées.
« Dès que nous sommes descendu·es, l’armée a encerclé l’hôpital et nous a reçus [et divisés en groupes]. Ils nous ont immédiatement déshabillé·es et ont emmené [mon groupe] dans un centre de commandement et de contrôle dans la zone d’Al-Fakhoura à Jabalia et nous ont interrogé·es. Le centre comprend des salles d’interrogatoire et des salles de torture », a déclaré à Mondoweiss Mohammad Al-Sharif, un journaliste présent au moment des faits, qui a été détenu pendant 11 heures à l’intérieur de l’hôpital Kamal Adwan, avant d’être relâché dans la ville de Gaza.
Où est le Docteur Hussam Abu Safiya ?
Des témoins récemment libérés de la prison de Sde Teiman ont informé CNN que le Dr Abu Safiya y est retenu. Ce centre militaire israélien, dénoncé par de nombreuses organisations de défense des droits humains, pratique des actes de torture et de viols sur les Palestiniens qui y sont enfermés. De nombreux détenus y ont trouvé la mort dans des conditions violentes, dont le docteur Adnan Al-Brush.
Israël n’a cependant pas confirmé cette affirmation. Face à la pression croissante des groupes de défense des droits humains, l’armée a confirmé qu’elle détenait le Dr Abu Safiya et qu’il faisait « l’objet d’une enquête par les forces de sécurité israéliennes », sans préciser le lieu de sa détention.
Beaucoup craignent qu’il ne soit soumis à de graves sévices de la part de l’armée israélienne en raison de sa notoriété et de son refus répété, au cours des mois précédents, de laisser ses patients et son personnel derrière lui lors des raids israéliens. Dans une interview accordée à Mondoweiss quelques jours avant son arrestation, le Dr Abu Safiya déclarait avec défi : « Nous partirons lorsque le ou la dernier·e Palestinien·ne quittera le nord de la bande de Gaza. Nous resterons et nous servirons celles et ceux qui sont ici. Il s’agit d’une mission humanitaire et notre message au monde est que nous fournissons des soins humanitaires et que nous ne devons pas être entravés. Nous nous sommes engagé·es à fournir des soins à ceux qui en ont besoin et nous remplirons notre serment de médecins ici à l’hôpital Kamal Adwan ».
La famille d’Abu Safiya a publié un communiqué expliquant qu’elle avait reçu des témoignages de détenus libérés confirmant qu’il était détenu dans la prison de Sde Teiman et qu’il était soumis à des mauvais traitements et à des humiliations, notamment lorsqu’il était forcé de se déshabiller et qu’il était utilisé « comme bouclier humain ».
« Depuis le début de la guerre contre la bande de Gaza, mon père a déployé des efforts colossaux pour soutenir le système de santé délabré et a apporté son soutien et son aide aux patients et à la population du nord de Gaza qui ont été confrontés aux conditions les plus difficiles d’un siège étouffant qui a duré 84 jours, y compris des bombardements continus, la faim, l’oppression et la privation », indique le communiqué. « Au cours de cette période, notre père a perdu son fils bien-aimé, Ibrahim, et a été lui-même gravement blessé. Malgré cela, notre père a continué à accomplir son devoir en toute sincérité. Aujourd’hui, il est détenu dans la prison israélienne de Sde Teiman, connue pour ses crimes contre les prisonniers palestiniens ».
L’ONU dénonce un « schéma » de destruction du système de santé
Un rapport de l’ONU publié mardi dernier, qui couvre la période du 7 octobre 2023 au 30 juin 2024, constate que « 22 des 38 hôpitaux de Gaza ont été rendus non fonctionnels » et dénonce un « schéma » de destruction des hôpitaux de Gaza par les forces israéliennes, ayant conduit le système de santé gazaoui à un « point d’effondrement presque complet ».
« Ce rapport décrit en détail la destruction du système de santé à Gaza et l’ampleur des meurtres de patients, de personnel et d’autres civils lors de ces attaques, au mépris flagrant du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme », affirme le haut commissaire des droits humains Volker Türk.
Si le rapport ne couvre pas la période dans laquelle l’hôpital Kamal Adwan a été assiégé et détruit, le même schéma peut y être constaté. Lors des attaques contre al-Shifa et Kamal Adwan, les forces israéliennes ont commencé par bombarder la zone à l’extérieur des hôpitaux, coupant l’approvisionnement, mettant les générateurs hors service et déclenchant des incendies dans plusieurs départements – y compris les services de chirurgie, de soins intensifs et de maternité.
Les troupes ont ensuite pris d’assaut les hôpitaux, forçant une grande partie du personnel et des patients restants à se déshabiller presque entièrement et les détenant, y compris les directeurs d’hôpitaux. Le directeur de l’hôpital al-Shifa, le Dr Mohammed Abu Salmiya, a été libéré après sept mois d’incarcération. Cependant, le chef du service de médecine orthopédique, le Dr Adnan al-Bursh, a été torturé à mort en détention israélienne.
Depuis le 7 octobre, Israël a tué plus de 1 150 professionnels de la santé et en a détenu 300, selon le ministère palestinien de la santé.