Majd Kayyal : à Haïfa, « tout ce qui songe à prononcer le mot Palestine est aussitôt rappelé à l’ordre »

L’agence Média Palestine s’est entretenue avec Majd Kayyal, Palestinien vivant à Haïfa, qui témoigne du quotidien difficile dans les territoires de la Palestine historique, occupés par Israël depuis la Nakba de 1948.

Par l’Agence Média Palestine, le 24 juin 2025


« Le calme est revenu aujourd’hui », soupire Majd Kayyal, « après deux semaines très, très compliquées. Cette nuit encore, avant le cessez-le-feu… C’était comme si ils voulaient utiliser toutes leur dernières munitions ! »

Haïfa se remet en effet ce matin des frappes iraniennes qui l’ont secouée cette nuit. Les magasins sont encore pour la plupart fermés, mais la vie semble reprendre sont cours, tant bien que mal. « C’est une situation très paradoxale pour nous, Palestinien-nes de Haïfa, de devoir craindre des frappes iraniennes tout en pleurant chaque jour le génocide israélien à Gaza. On se sent piégés, doublement piégés par le régime israélien, qui affame et tue nos frères et sœurs là-bas, et nous met en danger ici. »

Majd raconte que les Palestinien-nes qui vivent dans les territoires occupés par Israël en 1948, dits « Palestinien-nes de 48 », subissent bien plus violemment les assauts portés envers Israël que leurs concitoyen-nes israélien-nes. « Dans les quartiers israéliens, tous les immeubles ont des abris, mais ce n’est pas le cas dans les quartiers arabes, où les constructions sont plus vétustes et plus précaires. Le maire de la ville se moque ouvertement de notre sécurité et ne fait rien pour remédier à cela, alors lorsqu’il y a une attaque, nous devons courir, parfois de longues minutes, pour nous mettre à l’abri. C’est trop long, et trop dangereux, » déplore Majd.

« Mais ce qui constitue le plus grand danger pour nous en réalité, c’est la présence de l’armée israélienne et de son infrastructure, partout autour de nous. Car elle est partout, près des écoles, des hôpitaux : partout. C’est elle qui fait de nous des cibles. »

L’armée israélienne, qui utilise abondamment le terme de « boucliers humains » pour justifier les massacres qu’elle perpétue à Gaza, implante en effet ses propres infrastructures dans des zones fortement peuplées. Beaucoup affirment qu’Israël fait donc ce qu’il reproche au Hamas. Il est flagrant de constater le double-standard appliqué par Israël et ses soutiens, largement relayé par les médias occidentaux, comme le rappelait Craig Mokhiber dans un article que nous traduisions en septembre dernier : « On peut voir des soldat·es israélien·nes dans tous les hôpitaux israéliens. Cela fait-il de ces hôpitaux une cible militaire légitime ? Bien sûr que non. Refuser la même protection aux Palestinien·nes constitue à la fois une grave violation du droit humanitaire et (que les journalistes occidentales·aux prennent note) un acte de racisme flagrant. »

La solidarité réprimée violemment

Malgré ce climat de peur, les Palestinien-nes de Haïfa dénoncent autant qu’ils le peuvent, depuis 20 mois, le génocide à Gaza. « Haïfa a toujours été une ville de mobilisation, de grandes manifestations, de grèves », reprend Majd. « Mais depuis le début de la guerre, nous faisons face à une répression énorme, pas seulement à Haïfa d’ailleurs : dès le début, dès le 7 octobre le chef de la police israélienne a déclaré dans la presse qu’il mettrait dans un bus pour Gaza tous les arabes qui protestent. »

En effet, alors que de grandes manifestations ont eu lieu dans les villes à majorité juives d’Israël comme Tel Aviv ou Jerusalem, elles sont systématiquement réprimées à Haïfa. « Systématiquement, depuis deux ans, nos manifestations sont interdites. Il y a quelques semaine une a été autorisée, quand des associations de la gauche israélienne en ont fait la demande. Tout le reste est interdit. Il y a bien des manifestations chaque semaine, mais elles rassemblent rarement plus de quelques dizaines de personnes. Les gens ont peur. »

« Ce n’est pas comme en France, où la manifestation s’élance, marche un moment, et puis il y a des altercations en marge, ou à la fin. Là, la manifestation n’est pas partie depuis plus de 3 secondes, je dis bien 3 secondes, et la police arrête la majorité. Là encore, ce n’est pas une façon de parler, c’est vraiment la majorité qu’ils arrêtent : il n’y a pas longtemps, nous étions une soixantaine, ils en ont arrêté 40. Le but est tout simplement de mettre un terme immédiat à la manifestation. Ils arrêtent tout le monde et voilà : c’est fini. Le lendemain, le surlendemain, les manifestants sont libérés, sans charges. »

Systématiquement, la police encercle, agresse, elle arrache les pancartes, frappe des manifestant-es, les force à retirer leurs vêtement si ceux-cis sont considérés comme « porteurs de message » : aux couleurs du drapeau palestinien par exemple, ou comportant un dessin de pastèque.

« C’est tellement brutal, que les gens n’y vont plus. Ils ont trop peur. » De nombreuses arrestations ont également lieu en amont des marches : la police arrête celles et ceux qu’elle soupçonne d’organiser la manifestation, ou qui ont tout simplement relayé un post sur les réseaux sociaux. « La police effectue de véritable raids, elle rentre chez le militant, renverse tout, met à sac l’appartement sous prétexte de chercher des preuves, mais c’est n’est qu’une intimidation, une humiliation de plus. »

Cette pratique ne concerne pas seulement celles et ceux qui se rendent aux manifestations, mais aussi toute personne qui affiche de près ou de loin une empathie avec le peuple gazaoui. « C’est très aléatoire, des personnes sont arrêtées pour presque rien, d’autres, qui ont un contenu très radical, ne sont pas inquiétées. Parfois c’est juste pour faire de la pub : si une actrice célèbre poste un mot de soutien et que c’est le bon moment pour en faire une affaire publique, elle sera arrêtée. Mais c’est également beaucoup en réponse à des dénonciations : un classique exemple du fascisme. Dans les universités au début du génocide, de très nombreux étudiants ont été arrêtés pour des posts de soutien ; on a compris plus tard que c’étaient d’autres étudiants, membres de comités sionistes, qui les dénonçaient auprès de la direction et faisaient pression pour qu’ils soient arrêtés. »

« C’est pour cela que la répression paraît si aléatoire, concernant les réseaux sociaux, je pense : elle est en partie le résultat de l’agenda de délations individuelles. Quoi qu’il en soit, le message est clair. » Car outre les arrestations, qui mènent rarement à de réelles poursuites judiciaires, des obstacles apparaissent sur le chemin de celles et ceux qui s’expriment. « Là un concert annulé, ici un festival menacé d’interdiction pour d’obscures raisons administratives absconses : tout ce qui songe à prononcer le mot Palestine est aussitôt rappelé à l’ordre. »

« Mais cela ne justifie pas le silence. Encore une fois, nous, Palestiniens de 48, vivons dans un paradoxe, un déchirement : nous vivons une oppression terrible, mais rien ne devrait nous faire taire. Nous vivons la plus grande catastrophe humaine de l’histoire moderne : il serait inhumain de rester silencieux. »

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