Point sur la situation à Gaza, où le fragile espoir d’une interruption des bombardements israéliens est teinté de deuil et de crainte de nouvelles attaques.
Par l’Agence Média Palestine, le 14 octobre 2025

Alors que la première phase de l’accord du cessez-le-feu a donné lieu hier à l’échange de prisonniers prévu, les craintes de voir Israël revenir sur ses promesses est à son comble : 5 Palestinien-nes ont été assassiné-es ce matin, mardi 14 octobre 2025, dans la ville de Gaza.
L’armée israélienne a confirmé avoir ouvert le feu sur « plusieurs suspects » qui s’étaient approchés des troupes stationnées dans le nord de Gaza mardi matin. « Des tentatives ont été faites pour éloigner les suspects. Ceux-ci n’ont pas obéi et ont continué à s’approcher des troupes, qui ont ouvert le feu pour éliminer la menace », indique-t-elle dans un communiqué.
Al Jazeera rapporte deux autres fusillades ce matin. Deux Palestinien-nes ont été blessé-es dans la première, par des tirs israéliens à Khan Younis. Une source des services d’urgence de Gaza indique par ailleurs qu’un nombre indéterminé de Palestinien-nes ont été blessé-es par des tirs de l’armée israélienne dans la région de Halawa, à Jabalia.
Des affrontements sont en outre rapportés ce matin encore à Jabalia dans le nord de Gaza, qui impliqueraient des milices armées par Israël. Ces groupes, qui s’organisent principalement autour du pillage de l’aide humanitaire et son commerce, ont gagné en influence et en nombre ces dernières semaines, et sont soupçonnés de vouloir prendre le contrôle de l’enclave à la place du Hamas.
Des dizaines de corps extraits des décombres
Israël aura bombardé Gaza jusqu’à la dernière minute, assassinant au moins 19 à l’aube vendredi, tandis qu’une personne a succombé à des blessures antérieures. Seize membres de la famille Ghaboun ont été tués lorsque leur maison, au sud de la ville de Gaza, a été bombardée aux premières heures du jour. Un autre Palestinien a été tué à Sheikh Radwan, tandis que deux autres ont trouvé la mort lors de frappes près de Khan Younis.
Dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, à midi heure locale, l’armée israélienne a progressivement ordonné à ses soldat-es de se retirer derrière la « ligne jaune » fixée par les négociateurs, libérant un peu moins de la moitié de l’enclave palestinienne et permettant à des milliers de familles, déplacées de force au cours des mois derniers, de rentrer chez elles.
Le retrait des troupes israélienne et l’interruption de leurs frappes ont également permis aux équipe de secours d’inspecter les décombres, et d’en extraire des corps qui n’avaient pas pu être sauvés en raison de la violence des attaques israéliennes.
L’agence de presse palestinienne Wafa a rapporté qu’au moins 135 corps ont été retrouvés samedi. Des dizaines d’autres corps ont été récupérés dans plusieurs hôpitaux de Gaza, dont 43 à l’hôpital al-Shifa et 60 à l’hôpital al-Ahli Arab de Gaza, tandis que d’autres ont été transportés vers des hôpitaux de Nuseirat, Deir el-Balah et Khan Younis. On estime ce matin à 250 le nombre de corps retrouvés depuis vendredi.
Des centaines de Palestinien-nes de Gaza sont encore porté-es disparu-es, et la défense civile de Gaza estime à 10 000 le nombre de corps piégés sous les décombres, ajoutant qu’elle ne dispose pas de l’équipement ni du carburant nécessaires aux opérations de recherche et d’extraction de ces corps. Ces 10 000 corps viendraient s’ajouter au sinistre décompte des 67 879 Palestinien-es qui ont été assassiné-es par Israël au cours des deux ans de génocide perpétré à Gaza.
Les Palestinien-nes retrouvent les ruines de leurs quartiers
De nombreux cas d’incendies volontaires ont été rapportés vendredi, les soldat-es israélien-nes mettant le feu au édifices qu’ils et elles quittaient et à toute denrée que les Palestinien-nes auraient pu espérer retrouver. Nombre d’entre elles et eux ont documenté leur propre geste sur les réseaux sociaux. « Vendredi, juste avant le départ. Brûler de la nourriture pour qu’elle ne parvienne pas les Gazaouis, que leurs noms soient effacés », peut-on lire en légende d’une photographie d’un soldat israélien de la brigade Kfir debout devant des palettes en bois en feu.
Malgré cela, des dizaines de milliers de Palestinien-nes déplacé-es ont entamé le long et pénible voyage de retour vers les ruines de leurs maisons. « Les familles ont démonté leurs tentes de fortune pour les réinstaller sur les ruines de leurs maisons détruites », rapporte Tareq Abu Azzoum sur Al Jazeera.
À son micro Mohammed Sharaf, un habitant de retour dans le quartier détruit de Sheikh Radwan, se lamente : « Tout a changé. Nous sommes revenus vers une catastrophe que nous ne pouvons pas comprendre. Nous pensions partir pour quelques jours, mais maintenant que nous sommes de retour, nous n’avons plus rien. »
Il ne reste presque plus rien de la ville de Gaza, après des mois de bombardements israéliens incessants. La destruction est totale : aucune infrastructure ne fonctionne, il n’y a ni eau potable, ni électricité, seulement les squelettes de ce qui était autrefois des maisons. Les habitant-es sont pourtant impatient-es d’y retourner et de reconstruire, réaffirmant encore leur puissant refus d’être effacé-es ou expulsé-es de leur terre par Israël.
Naim Irheem, en rangeant sa tente de fortune dans sa voiture, a déclaré à Al Jazeera : « Je vais à Gaza même s’il n’y a pas de conditions de vie là-bas, pas d’infrastructures, pas d’eau potable. Tout est extrêmement difficile, vraiment difficile, mais nous devons rentrer. Mon fils a été tué, toutes mes filles ont été blessées. Mais je veux quand même rentrer. Nous monterons une tente et nous y vivrons, quoi qu’il en coûte », a-t-il déclaré.
« Peuples du monde, ne détournez pas le regard maintenant. »
« Ils appellent cela la paix, mais pour les Palestinien-nes, cela risque d’être l’apartheid dans ce qu’il a de pire », avertit ce matin Francesca Albanese dans un message publié sur les réseaux sociaux. « Tous les regards doivent rester tournés vers la Palestine. Peuples du monde, ne détournez pas le regard maintenant. »
Les dirigeants de l’Égypte, du Qatar, de la Turquie et des États-Unis ont publié hier une déclaration commune soutenant l’accord de cessez-le-feu à Gaza et s’engageant à instaurer une « paix durable » dans la région.
Cette déclaration, publiée lundi à l’issue d’un sommet international à Charm el-Cheikh, en Égypte, constitue une rare reconnaissance par l’administration du président américain Donald Trump du fait que les Palestinien-nes ont des droits égaux à ceux des Israélien-nes.
La déclaration ne pointe pas non plus du doigt les Palestinien-nes comme étant la cause du conflit, contrairement à ce qu’ont fait les administrations américaines successives. Elle recadre le conflit à Gaza dans le contexte plus large de la question palestinienne, quand l’administration Trump a jusqu’à présent évité de qualifier les habitant-es de Gaza de Palestinien-nes.
Cependant, la déclaration ne reconnaît pas explicitement le droit des Palestinien-nes à un État et à l’autodétermination, et il n’aborde pas le sujet de la réparation de crimes commis par Israël, ni n’engage ce dernier à la décolonisation et la fin de l’apartheid.
Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial des Nations unie, a qualifié le génocide à Gaza de « nouvelle Nakba », affirmant que la reconstruction prendra des générations. « La destruction des habitations, l’expulsion des habitants et la mise en état d’inhabitabilité de la région constituent l’un des principaux moyens utilisés pour commettre un génocide », rappelle-t-il sur Al Jazeera.



